Ecologie : la Chine ferme sa poubelle…les pays riches paniquent

Mise en décharge ou incinération? En bloquant l’importation de certains déchets, la Chine, première destination mondiale du recyclage, fait peser le risque d’un « scénario-catastrophe » pour l’environnement dans les pays riches.

Depuis le 1er janvier 2018, la porte du géant asiatique est fermée à 24 catégories de déchets solides, dont certains plastiques, papiers et textiles, une mesure annoncée seulement six mois plus tôt par Pékin, qui avance des motifs écologiques.

Ce redessinage du marché planétaire des déchets s’avère problématique pour les industriels américains et européens, habitués à voir une Chine avide de matières premières absorber la majeure partie de leurs déchets pour les recycler, et qui disposent de très peu de temps pour se retourner.

« C’est un séisme » et « on a toujours l’onde de choc. Cela a mis notre industrie en situation de stress car la Chine est tout simplement le premier marché mondial pour l’exportation de matières recyclables », se désole Arnaud Brunet, directeur du Bureau international du recyclage (BIR) basé à Bruxelles.

Risque majeur

L’Union européenne (UE) exporte la moitié de ses plastiques collectés et triés, dont 85% vers la Chine. Les Etats-Unis ont eux envoyé en 2016 en Chine plus de la moitié de leurs exportations de déchets de métaux non ferreux, papiers et plastiques, soit 16,2 millions de tonnes.

« On va chercher des solutions alternatives, essayer d’identifier de nouveaux marchés de substitutions, à supposer qu’ils aient les capacités de traitement: on parle de l’Inde, du Pakistan ou du Cambodge », suggère M. Brunet.

Mais cela pourrait prendre du temps: « Les capacités de traitement ne se déplacent pas comme ça du jour au lendemain », et dans l’immédiat l’accumulation des déchets, notamment en Europe, est « un risque majeur », prévient-il.

Avec comme « scénario-catastrophe » la perspective que ces déchets soient incinérés ou placés en décharge.

Aux Etats-Unis, « des usines cherchent comment entreposer » leurs déchets supplémentaires et « certaines les stockent sur des parkings ou sur des sites extérieurs », indique à l’AFP Brandon Wright, porte-parole de la NWRA, fédération américaine des déchets et du recyclage.

L’impact immédiat va être dévastateur: selon des estimations « prudentes » du BIR, les exportations mondiales de papier vers la Chine pourraient plonger d’un quart entre 2016 et 2018 et celles de plastiques s’effondrer de 80% en deux ans, passant de 7,35 à 1,5 million de tonnes.

Mais certains se montrent plus rassurants: « Nous travaillons depuis des années pour nous développer en Inde, au Vietnam, en Thaïlande, et même en Amérique latine », assure Brent Bell, un responsable de Waste Management, le premier recycleur nord-américain d’ordures ménagères.

« Les investissements récents de plusieurs papetiers américains nous permettent de déplacer (les déchets) vers ces marchés alternatifs », poursuit M. Bell, interrogé par la radio NPR.

L’Union Européenne vise 2030 

L’interdiction de Pékin pose aussi un épineux problème aux entreprises chinoises du recyclage, extrêmement dépendantes des déchets occidentaux.

« Cela va devenir difficile de travailler », admet dans une déclaration à L’AFP Zhang Jinglian, propriétaire d’une société de traitement des déchets plastiques, Huizhou Qingchun. Plus de la moitié de sa « matière première » est importée et sa production va donc être réduite « d’au moins un tiers », ajoutant avoir dû récemment « se séparer d’une dizaine d’employés ».

Les répercussions sont plus drastiques encore pour la société Nantong Heju, dans le Jiangsu (est): « Nous stoppons notre activité et cherchons désormais à nous reconvertir », confie un responsable cité par l’AFP.

La décision chinoise pourrait à terme avoir pour effet positif de muscler les filières de retraitement.

L’UE a dévoilé mardi sa stratégie pour réduire l’utilisation des plastiques à usage unique, avec pour objectif que tous les emballages de ce type soient recyclables d’ici 2030.

Seulement 30% des déchets plastiques des Européens sont recyclés à l’heure actuelle. Le reste finit incinéré pour produire de l’énergie (39%) ou en décharge (31%).

« Nous devrions utiliser cette décision pour nous remettre en question et nous demander pourquoi nous, Européens, ne sommes pas capables de recycler nos propres déchets », argue le commissaire Frans Timmermans.

Nouveaux défis

Alors que la Chine place de plus en plus l’écologie en tête de ses priorités, l’industrie du recyclage est confrontée à de nouveaux défis.

En Occident, le recyclage est souvent vu comme une affaire de devoir civique : les campagnes gouvernementales pour inciter au recyclage font appel à la responsabilité sociale ou à la conscience environnementale des citoyens. Il n’est pas rare pour les comités de quartier ou les éboueurs de réprimander les citadins qui, par exemple, ne trient pas leurs déchets.

En Chine, les choses sont radicalement différentes, et témoignent non pas de l’absence d’un système de recyclage, mais d’une organisation différente, reposant davantage sur les lois du marché que sur la conscience citoyenne. Ici, pas de tri des déchets ni de conteneur pour le papier ou les bouteilles vides : que ce soit dans les compagnies ou les maisons, tout est jeté dans un même récipient en bordure de sa rue.

Une fois sortis, ces déchets attirent aussitôt l’attention d’une véritable armée de collecteurs qui arpentent les rues des villes chinoises. Traînant derrière leurs bicyclettes de grands sacs, ils se promènent de conteneur en conteneur, ramassant le plastique, le papier, les bouteilles de vitre, le métal, etc.

« Bien sûr, par le passé, les déchets ménagers n’étaient pas une question grave, mais avec le développement économique et la multiplication des produits de consommation, notamment l’arrivée des emballages jetables et du plastique dans nos vies, les déchets ménagers sont devenus un vrai problème », dit Wang Jing, une collectrice de déchets à Beijing.

Ce sont des gens comme Wang Jing qui forment la ligne de front de l’industrie du recyclage en Chine : ils trient les ordures, en extraient tout ce qui est susceptible d’être recyclé et s’affairent à toute heure de la nuit ou du jour dans les rues de la capitale et des villes chinoises.

Un système unique à la Chine

Selon les données des Nations unies, la Chine produit 520.548 tonnes de déchets par jour. Elle compte pour 28% de la demande globale pour le polyéthylène téréphtalate, le principal matériel utilisé dans la confection des fameuses bouteilles de plastique qui sont désormais omniprésentes dans nos vies. En 2016, les Chinois ont acheté plus de 73 milliards de ces bouteilles, une hausse de cinq milliards par rapport à l’année précédente.

Bien que le pays soit encore loin derrière les pays occidentaux en termes de quantité de déchets produits per capita par jour (1,02 kg par rapport à 2,58 kg), ce taux croît de 4% à 5% par année. Le travail de recyclage effectué par Wang Jing et ses collègues est donc un service vital pour assurer une vie urbaine saine.

On estime à 160.000 le nombre de collecteurs dans la seule ville de Beijing, dont 90% seraient des migrants ruraux, selon les observateurs. Une fois collectés, les matériaux sont transportés et vendus à des ateliers de recyclage qui transforment les produits et les revendent aux grandes usines.

D’autres collecteurs optent pour une stratégie différente : au lieu de trier les déchets, ils se promènent dans les rues des quartiers résidentiels en criant les produits qu’ils achètent, le plus souvent des électroménagers ou de la ferraille. Les résidents désireux de se débarrasser de leurs vieux objets peuvent s’en départir contre quelques yuans.

« J’ai récemment rénové ma cuisine, et j’ai pu vendre mes tuyaux de plomberie et quelques tuiles pour une dizaine de yuans en tout. Je leur ai aussi vendu mon vieux téléviseur brisé. Ça permet de gagner un peu d’argent, mais ça m’évite surtout de devoir déplacer ces déchets moi-même », dit une résidente âgée de Beijing.

Adam Minter, auteur du livre Junkyard Planet sur l’industrie des déchets en Chine, estime que les collecteurs de déchets se chiffreraient à une dizaine de millions à l’échelle du pays, formant la deuxième profession du pays, après les fermiers.

« En Occident, le recyclage est considéré comme une activité verte. Mais en Chine, le recyclage des bouteilles en plastique et le recyclage en général répondent beaucoup plus à un impératif économique, plutôt qu’à un impératif environnemental », explique Minter. « Il est extrêmement rare de voir des bouteilles en plastique ne pas être recyclées en Chine, en particulier compte tenu du prix plus élevé des bouteilles de polyéthylène téréphtalate. »

Une industrie en cours de régularisation

Alors que le pays recentre ses priorités sur l’énergie verte, tel qu’annoncé à la Conférence COP21 en décembre 2015 ainsi que dans le XIIIe plan quinquennal (2016-2020), la Chine cherche à régulariser et standardiser son industrie du recyclage.

Le problème est que les ateliers de recyclage, souvent des entreprises familiales peu soucieuses des régulations, brûlent les matériaux qu’ils n’arrivent pas à recycler. Ces pratiques non réglementées aggravent la pollution de l’air tout en causant de graves problèmes de santé aux travailleurs et à leurs communautés.

Wang Jiuliang, un documentariste chinois qui s’est intéressé aux fosses d’enfouissement présentes autour de Beijing, s’inquiète de cette situation : « La Chine est rapidement passée de pays très pauvre à pays très riche. Il y a un fort désir de consommer des choses et une grande partie de ces choses se retrouvent par la suite dans des sites d’enfouissement. La Chine s’est engagée dans une société basée sur la consommation, sans pourtant être prête pour ce type de consommation. »

Pour augmenter l’efficacité, le gouvernement chinois vise à introduire des technologies avancées afin de hausser le degré d’expertise et de professionnalisme de son industrie. D’un autre côté, les urbanistes et les autorités municipales devront intégrer davantage le recyclage dans leurs plans de gestion urbaine. Pour cela, les collecteurs de déchets et les compagnies familiales offrent une base à partir de laquelle un système complet, moderne et systématique pourrait être développé.

Un tournant à l’horizon

Chose étonnante, non seulement la Chine doit traiter ses déchets, mais le pays importe même les déchets de l’étranger. En fait, les Etats-Unis exportent plus de ferraille et de déchets vers la Chine que tout autre produit. En 2016, la Chine a importé plus de la moitié des exportations mondiales de déchets de cuivre, ainsi que la moitié de son plastique.

En effet, il est souvent moins coûteux de recycler les déchets de cuivre, de fer, d’acier, de papier et de plastique, que de fabriquer de tels matériaux, en particulier lorsque les prix des matières premières sont élevés, comme c’était le cas au cours des années 2000.

Mais cette situation tire à sa fin : le 18 juillet dernier, la Chine a annoncé à l’Organisation mondiale du Commerce que d’ici la fin de l’année, elle n’accepterait plus les importations de 24 catégories de déchets solides. Selon le ministère de la Protection de l’Environnement, la restriction de ces importations protégera l’environnement et améliorera la santé publique en Chine. Cette tendance avait déjà débuté en 2013, quand la Chine avait lancé une campagne visant à interdire les déchets hautement contaminés parmi les matières recyclées importées.

En plus de ces réglementations plus strictes, la Chine continue d’investir massivement dans la promotion de pratiques écologiques. Les baguettes jetables, objets omniprésents en Chine, sont désormais faites de débris de bambou transformés venant des usines de meubles.

Autre exemple, la « pollution blanche », désignant les sacs de plastique qui malheureusement polluent les paysages. En janvier 2008, le gouvernement chinois a interdit aux magasins de distribuer des sacs en plastique gratuits et a demandé aux consommateurs d’utiliser des sacs en tissu à la place pour réduire la pollution. Pas à pas, on observe donc une tendance vers un meilleur traitement des déchets, notamment en améliorant les capacités de recyclage du pays.

Sources : agences et La Chine au Présent