Elections : de la femme et de la stratégie

Rim Kalai JamaiDeux jours après les résultats des élections des départements universitaires, et après les deux résultats inattendus au GI de l’Enit et au dept histoire de la fac de lettres de Tunis (voir statut de Abdennebi Ben Beya ), j’ai eu suffisamment de recul pour analyser les raisons de ces revirements inattendus. Pour ma part rien ne m’étonne plus que ça car j’enseigne un peu de théorie de choix social et je sais que les systèmes de vote sont en grande majorité très instables et non monotones, en d’autres termes il est très facile d’avoir un résultat contraire aux attentes. Je ne m’attarde pas sur l’aspect théorique de ces modèles. Mes étudiants les connaissent.
Juste une remarque, tout ce que je vais dire dans ce qui suit sont des faits et un essai d’analyse pour comprendre en profondeur le phénomène, corriger certaines idées reçues et mieux avancer à l’avenir. Pour les handicapés du cerveau qui penseront que je suis une mauvaise perdante, merci de passer votre chemin et d’aller voir ailleurs.
Dans les deux cas, le candidat a gagné face à la candidate malgré la qualité du discours et surtout du programme et de la vision lors des débats (fait relayé unanimement dans le dept et même en dehors).
Premier constat : MÊME PARMI L’ÉLITE, CE NE SONT PAS LES PROGRAMMES QUI GUIDENT LES CHOIX.
Dans le cas de l’Enit, les deux candidats étaient très bien sur le plan humain et compétences. Donc contrairement à la majorité des cas, ce n’est pas une affaire de coup bas de la part d’un candidat déloyal. Je tiens énormément à ce point.
Deuxième constat : UN RÉSULTAT EN FAVEUR DU CANDIDAT LE MOINS ATTENDU NE VEUT PAS DIRE QUE CE CANDIDAT EST MORALEMENT MAUVAIS.
Dans les deux cas, une femme a perdu face à un homme. J’ai eu bcp de messages s’interrogeant sur le fait si ce n’était pas une affaire d’islamisme. HORS SUJET.
Ça n’a strictement rien à voir et arrêtons svp de tout mettre sur le dos des islamistes. On ne fait que les renforcer.
D’autres pensent que c’est une affaire de machisme. Je ne connais pas les détails de ce qui s’est passé au dept d’histoire (Abdennebi Ben Beya pourrait peut être nous éclairer ), mais ce n’est sûrement pas le cas au GI de l’Enit et je vais le démontrer.
Dans notre département la différence de voix était de dix. J’ai pu grâce au comportement et mots de certains avant et après les élections identifier au moins 5 femmes de mon camp qui n’ont pas voté pour moi. ATTENTION: dans ce genre de situation je ne prends en compte aucun pronostic extérieur car c’est extrêmement subjectif les avis des uns et des autres. Je ne bâtis mon raisonnement que sur mes propres constatations avec les concernées.
J’explique d’abord ce que veut dire mon camp. Ce n’est pas une affaire d’affinité personnelle car sur ce point hamdoullah je suis gâtée. Je parle en termes d’unités pédagogiques et intérêts pour l’équipe.
Donc, ce sont ces femmes là qui ont fait basculer le résultat (enfin je pourrai trouver la sixième pour les pointilleux ). C’est très important que ce soit des femmes. D’abord pour casser cette idée reçue :
Troisième constat: DANS NOTRE SOCIÉTÉ ON COLLE INJUSTEMENT CHAQUE MÉSAVENTURE SUBIE PAR UNE FEMME À UN HOMME.
Pour moi ce n’était pas du tout une découverte, bien au contraire. J’en ai suffisamment souffert durant ma carrière et c’est justement la raison pour laquelle la majorité écrasante de mes amis dans la vie réelle sont des hommes.
Maintenant on peut se demander comment logiquement une collègue de travail, dans ta propre équipe, à qui en plus tu proposes dans ton programme des projets de collaboration win win et avec qui tu as d’excellentes relations peut aller voter contre ce qui peut sembler pour nous le choix logique?
Quatrième constat : LE VOTE INDIVIDUEL EST RAREMENT LOGIQUE. LA PART DE SUBJECTIVITÉ EST TRÈS GRANDE.
C’est ça qui explique par exemple l’arrivée de Nahdha en 2012 au pouvoir. Chose qui a été faussement interprétée par beaucoup comme quoi notre peuple est majoritairement islamiste. Ce qui est fondamentalement faux.
Les raisons de tels choix sont nombreuses et très diverses. Il faut vraiment aller étudier au cas par cas pour les petites élections, et par catégorie et profil pour les élections importantes.
Dans mon cas, les coups de ce genre que j’ai reçus lors de mon expérience en France et en Tunisie, sont dus principalement à ma forte personnalité, à ma franchise, à la discipline à laquelle j’insiste avec mes étudiants, à
mon ambition pour mon institution (bizarrement l’ambition personnelle ils s’en foutent ) , à mon CV (en France on m’a une fois reproché à Rouen Business School pour me casser devant le doyen que j’étais trop proche de mon réseau de Centrale Paris !!!! Alors que l’école affichait cette collaboration comme point fort pour attirer les étudiants !).
Un autre point aussi c’est le fait que je n’ai pas de fausse modestie et que j’affiche ma fierté de mon parcours, mes réussites et mes qualités. Même en France ça ne passe pas toujours chez certains mais ça reste rare. En Tunisie c’est vraiment considéré comme un défaut.
Conclusion de l’histoire : ce n’est pas pour rien que je suis contre la parité hommes femmes en politique. Quoiqu’on dise, en termes de stratégie en général, que ce soit pour un département ou pour un pays, il faut instaurer des modèles qui privilégient les compétences et la volonté de réussir en groupe. Tout le monde a une part de subjectivité plus ou moins grande. Sinon on ne serait pas humains. Mais elle est incontestablement plus forte chez les femmes. Il est vrai que dans bcp de situations, c’est un avantage par rapport aux hommes (dans bcp de métiers les femmes sont largement meilleures grâce à ça, la médecine par exemple ). Mais dans d’autres situations, ça devient carrément handicapant pour le système.
Actuellement on le vit au niveau du pays dans la préparation des listes électorales. A cause de cette contrainte que je considère vraiment stupide, on est obligé de mettre des femmes moins compétentes que des hommes pour le travail municipal.
J’espère que les esprits et nos lois évolueront dans le bon sens pour notre pays, mais une femme restera toujours une femme.

Rim Kalaï-Jemai