Je viens de lire coup sur coup « Prisonnière à Téhéran » de Marina Nemat , « Les Enfants du jacaranda » de Sahar Delijani , « Les putes voilées n’iront jamais au Paradis ! » de Chahdortt Djavann » , « Je viens d’ailleurs » du même auteur , Chahdortt Djavann et « Lire Lolita à Téhéran » de Azar Nafisi.
Le hasard seul m’a conduite vers ces livres ! Aucune préméditation , juste de l’intuition ou une forme de solidarité féminine. Je ne suis pas sortie indemne de ces lectures-là ! Et avec énormément d’interrogations ! Qu’est-ce qui fait que nous résistons furieusement et depuis des années contre l’invasion islamiste ? Rappelons-nous les manifestations salafistes sur l’avenue Habib-Bourguiba , l’escalade de l’Horloge par les enfants du gourou machiavélique sous le regard bienveillant du ministre de l’Intérieur de l’époque , ali laarayedh , « Touche pas à mon drapeau » et le courage inouï de Khaoula Rchidi , notre Marianne nationale , affrontant seule un étudiant salafiste qui voulait planter l’étendard noir à la place de notre drapeau national , et ce , 14 mois après le ras-le-bol du 14-Janvier pour la dignité et la liberté ! Rappelons-nous le khewmji ghannouchien et ses propos : « L’armée et la police ne sont pas acquises à la cause des islamistes » ! Les 100.000 kamikazes de bhiri ou le bain de sang » youstabah » promis par sahbi atig , lors de la manifestation de soutien ( le 13 juillet 2013 ) au président égyptien déchu morsi , leur frère musulman , mis en cage par Sissi , devenu président suite à un coup d’État et à des millions de voix scandant « Dégage Morsi » !
Qu’est-ce qui fait que nous tenons toujours et qu’est-ce qui nous différencie des progressistes laïcs et laïques irakien(ne)s , syrien(e)s et iranien(e)s ? Sommes plus patriotes , plus cultivé(e)s , plus engagé(e)s ? Sommes-nous géographiquement moins exposé(e)s à ce genre d’invasion , géopolitiquement sans intérêt ou tout simplement pauvres , nos ressources énergétiques , particulièrement pétrolières , n’étant pas véritablement une menace et ne suscitant aucune convoitise extérieure ?
Je n’en sais rien ! Tout ce dont je suis sûre , c’est cette certitude nichée au fond de mon coeur que la lutte continue et que les fondamentalistes charriant l’obscurantisme n’ont pas leur place ici !
Dans « Prisonnière à Téhéran » , Marina , à l’âge de l’insouciance , des découvertes et des premiers émois , est arrêtée , torturée et condamnée à mort pour trahison politique et emprisonnée à 16 ans dans la tristement célèbre prison d’Evin.
Dans « Les Enfants du jacaranda » , Neda naît dans la prison d’Evin et arrachée à sa mère quelques semaines plus tard comme tous les enfants de prisonniers politiques , élevés par leurs proches à l’ombre des jacarandas , ces arbres violets flamboyants qui berceront leur enfance mais ne les préserveront pas de leur lourd passé vingt ans plus tard.
Dans « Les putes voilées n’iront jamais au Paradis » , roman vrai , puissant , à couper le souffle , les témoignages d’outre-tombe de prostituées assassinées , pendues , lapidées en Iran. Un voyage au bout de l’enfer des mollahs et le non-dit de la folie islamiste.
Dans « Je viens d’ailleurs » , ce sont des fragments de vie s’étalant sur vingt ans d’une jeune Iranienne , révoltée par la violence du régime islamique installée par Khomeyni en 1979 , un triste ayotallah , aveugle et douteux philosophe-roi qui avait décidé d’imposer son rêve à un pays et à un peuple afin de donner vie à son regard de myope et imaginer un idéal de vie niant toute position existentielle.
Dans « Lire Lolita à Téhéran » , une universitaire , après avoir démissionné de l’Université de Téhéran sous la pression des autorités iraniennes , islamistes , réunit pendant deux ans , dans l’intimité de son salon , sept étudiantes pour y lire Nabokov , Fitzgerald , Austen. Un portrait brut et déchirant de la révolution islamique et une démonstration magistrale que l’imagination bâtit la liberté. Extraits
« Le deuxième semestre commença dans une atmosphère inquiétante . Très peu de cours avaient lieu. Le gouvernement s’était déjà chargé de faire disparaître les mouvements d’opposition politique et interdit les magazines et les journaux progressistes , châtié les anciens fonctionnaires et déclaré la guerre aux minorités , en particulier aux Kurdes. Il tournait maintenant son attention vers les universités , foyers de dissidents où les révolutionnaires islamistes ne détenaient pas le pouvoir. Parce qu’on y protestait contre la disparition des forces progressistes , les universités jouaient désormais le rôle des publications interdites. Meetings , débats , manifestations se déroulaient chaque jour ou presque dans l’une d’entre elles , le plus souvent dans celle de Téhéran (…)
Il ne fallut pourtant pas au gouvernement pour annoncer son intention de suspendre les cours et former un comité chargé de mettre en place la révolution culturelle. Ses membres se virent accorder tout pouvoir pour réorganiser les universités de façon à les rendre acceptables aux dirigeants islamistes. Ce qu’ils voulaient n’était pas très clair , mais il n’y avait aucun doute sur ce qu’ils ne voulaient pas. Ils avaient le droit de renvoyer tout membre de la faculté , professeur , employé ou étudiant considéré comme indésirable , d’instaurer de nouvelles règles et de nouveaux programmes. Ce fut le premier effort organisé pour purger l’Iran de ce qu’ils appelaient la culture occidentale décadente. Ferdowsi , le poète du X siècle , surnommé » le Recréateur de la langue persane » et Omar Khayyām furent également censurés.
Il y eut des manifestations , il y eut des sit-in. Il fallait sauver l’université. Nous avions tous participé à ce qui la menaçait , et menaçait l’Iran. Ainsi commença un nouveau cycle de violence. Les manifestations partaient en général de l’université de Téhéran , et au fur et à mesure que les premiers arrivés s’en éloignaient , d’autres nous rejoignaient. Nous marchions en direction des institutions gouvernementales , et la plupart du temps , dans une rue étroite ou à un croisement , » ils » arrivaient , armés de battes et de couteaux , et nous attaquaient. Nous courions et » ils » revenaient et nous attaquaient encore , leurs couteaux sortis , et nous courions à nouveau. .. Quand les fusils commencèrent à claquer , nous nous sommes mis à courir dans tous les sens. A un moment donné , je me suis retrouvée seule au milieu de la cour de l’Hôpital Imam-Khomeyni qui s’appelait avant Hôpital Pahlevi , comme le dernier chah. Le bruit courait maintenant que la police et les gardes avaient volé les cadavres afin que la nouvelle de ces assassinats ne se propage pas (…)
J’avais l’impression que mon coeur s’était arraché du reste de mon corps et qu’il était tombé avec un bruit sourd dans un espace désert , un vaste vide dont je ne connaissais pas l’existence. J’étais fatiguée et j’avais peur. Ce n’étaient pas les balles qui m’effrayaient , elles faisaient trop partie du présent immédiat. C’était la disparition de notre avenir qui semblait maintenant reculer sous mes pas.«
Mounira Aouadi
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