Mon été British :
Les bons souvenirs sont comme des étrennes.
On se les rappelle à l’occasion de moments de fêtes ou de spleen.
En cette fin d’année, il me vient à l’esprit un beau souvenir du temps où, encore étudiant, j’étais parti à Londres pour un séjour linguistique estival.
N’ayant pas d’argent, je devais trouver un job saisonnier pour subvenir à mes frais de loyers et de nourriture.
A l’époque, les restaurants, bars et autres commerces ayant pignons sur rue affichaient leurs besoins en employés sur le devant des portes d’entrée.
Et je m’étais dit que tant qu’à faire, il valait mieux commencer par les restaurants et les bars les plus chics du quartier huppé de Chelsea.
Et j’avais bien fait car en moins de deux jours on m’avait embauché comme plongeur dans un restaurant hyper branché fréquenté essentiellement par les artistes Londoniens et Américains les plus célèbres de l’époque.
Le très grand chef italien qui y officiait, voyant mon dynamisme et ma discipline, m’avait vite pris en sympathie. Probablement aussi parce que mon origine Tunisienne lui rappelait sa Sicile natale.
Bref, en moins de deux semaines, il m’avait promu « commis de cuisine » chargé de préparer quelques entrées à base de salades et de fruits de mer.
Il m’avait notamment initié à certains secrets de sauces froides dont celles jalousement gardées du « Cocktail de Crevettes Royales ».
Et Dieu sait si, à quelques dizaines de mètres du Palais de la Reine Elizabeth, on ne doit pas badiner avec le qualificatif « Royal ».
En quelques jours, j’étais devenu la « star » londonienne du cocktail de crevettes.
Un critique gastronomique réputé de la place l’avait même salué dans sa rubrique culinaire hebdomadaire.
Aussi bien le Chef italien que le directeur très British du Restaurant étaient devenus très contents de mes prestations au point de doubler le cachet hebdomadaire que je percevais chaque fin de semaine en espèces dans une petite enveloppe en papier Kraft.
Un samedi soir, alors que les cuisines grouillaient de serveurs et bouillonnaient de commandes, le directeur du restaurant qu’on ne voyait jamais dans les sous-sols des cuisines est venu m’interpeller pour me dire de mettre une tenue de chef immaculée, une toque et des chaussures blanches toutes neuves et de m’asperger d’eau de Cologne de marque.
Sans pouvoir poser la moindre question, j’ai obéi aux ordres du Boss qui m’a demandé de le suivre dans la Salle du Restaurant situé au rez-de-chaussée où il m’était normalement interdit d’accéder.
Une salle cossue, admirablement éclairée et meublée et au confort stylé sentant bon le vieux cuir britannique.
A un certain moment, le Boss s’arrête à une table et me présente aux convives en leur disant qu’ils avaient devant eux « l’artiste qui a signé le cocktail de crevettes » qu’ils venaient juste de déguster et d’apprécier.
Inutile de vous dire que j’étais inondé de timide fierté face à une situation à laquelle je n’étais nullement préparé.
D’autant plus qu’avant de quitter la salle pour regagner ma cave, une très jolie jeune fille s’est levée de la table pour m’embrasser et me dire qu’elle n’avait jamais savouré un « cocktail de crevette aussi génial ».
J’étais aux anges car tous les yeux des clients étaient braqués sur moi ou plutôt sur la sublime jeune fille qui me félicitait et qui n’était autre que Nathalie Wood, la fameuse Star Hollywoodienne, héroïne du film culte West Side Story.
J’avais regagné mon poste de travail dans les caves des cuisines et en y arrivant, mon mentor et Chef italien a ouvert une bouteille de champagne en mon honneur en me demandant quel était le secret de mon cocktail de crevettes royales ?
En bon apprenti qui a bien appris les traditions des grands chefs, je lui ai répondu en le taquinant que « je refusais de divulguer « mes trucs et astuces ».
Aujourd’hui, plus de cinquante ans après, je vous les livre à vous avec grand plaisir :
-la cuisson Al Dente des crevettes hyper fraîches, soigneusement éviscérées
-le lit de salade croquante finement ciselée
-un peu de paprika dans la sauce mayonnaise fraîche généreusement arrosée de Grand Marnier ( je garderai pour moi le secret de la dose de Grand Marnier ! Hahaha)
-la présentation inspirée du moment
-le tour de main de l’auteur .
J’en garde encore le sublime sourire de Nathalie Wood et des constellations d’étoiles pleins les yeux.
Voilà. C’est tout pour aujourd’hui .
Bonnes et heureuses fêtes de fin d’année .
Wahid Ibrahim