« Vers trois heures et demi du matin, j’eus la profonde douleur d’assister à l’explosion du Magenta… La cause d’un événement aussi subit et aussi fatal m’est encore inconnue ». Ce fut en ces termes brefs et amers que l’Amiral commandant du Magenta, le navire amiral de la flotte française de Méditerranée, annonçait à l’aube du 31 octobre 1875, l’incendie et le naufrage de son bateau.
Le grand cuirassé, qui fut en son temps l’un des fleurons de la marine de guerre française, mouillait au moment de la catastrophe dans la rade de Toulon, lorsqu’une fracassante explosion eut lieu à son bord, suivie d’un gigantesque incendie qui ravagea le navire et causa son naufrage. La perte inattendue du Magenta fut ressentie dans toute la France comme un grand désastre.
Au fait, ce qui m’amène aujourd’hui à évoquer cette catastrophe du passé, c’est qu’au moment de son naufrage, le Magenta venait juste de rentrer à sa base d’ une longue croisière en Méditerranée, qu’il clôtura par une escale au port de La Goulette.
Au cours de sa halte goulettoise, il fut chargé d’une cargaison pour le moins surprenante pour un navire de guerre; puisqu’elle consistait en 2080 stèles puniques – Imaginez ! -, toutes extraites du sous-sol archéologique de Carthage. Et il y’avait même – cerise sur le gâteau – une caisse à part, qui contenait une superbe statue en marbre d’époque romaine de 2m10 de haut, extraite à son tour du sol de Carthage, qui représentait sous son meilleur visage, l’impératrice Sabine, épouse d’Hadrien, l’un des plus illustres empereurs romains.
L’histoire singulière de ces stèles :
Ces trouvailles archéologiques , embarquées en si grand nombre vers la France à bord de ce malheureux navire de guerre, venaient au fait juste d’être exhumées lors d’une vaste campagne de fouilles menée dans une grande précipitation au cours des années 1874 et 1875, dans les environs du Tophet, principal sanctuaire punique connu de Carthage.
La campagne fut menée par un fervent amateur d’antiquités du nom d’ Evariste Pricot de Sainte-Marie, qui exerçait à l’époque la fonction de premier interprète au consulat de France auprès de la régence de Tunis.
Ce qui mérite d’être signalé, c’est que Pricot de Sainte-Marie avait mené ses fouilles sur ordre et avec un financement du ministère français de l’instruction publique, pour le compte de l’académie des inscriptions et des belles lettres de Paris.
Ainsi, dans l’ordre officiel qui définissait sa mission, on pouvait lire : « …si comme nous l’espérons, les lois de la régence de Tunis ne s’opposent pas à la sortie des antiquités, M. De Sainte- Marie devra expédier à Paris toutes les pierres portant des inscriptions qu’il trouvera. »
Dans leur totalité, les stèles embarquées sont des ex-voto, par lesquels les Carthaginois commémoraient les sacrifices qu’ils offraient à l’une ou l’autre de leur deux divinités protectrices: Ba’al Hammon et Tanit. Elles sont toutes gravées d’inscriptions, de dessins et de symboles caractéristiques des rituels de sacrifice de cette époque.
Il va sans dire que ces milliers de stèles représentent un énorme réservoir d’informations sur les noms et sur les filiations des Carthaginois, sur les professions qu’ils pratiquaient, sur la toponymie de la ville et de ses environs et bien entendu, sur le panthéon et les croyances religieuses puniques. Bref, une source de renseignement précieuse et de première main, sur l’histoire de Carthage, son économie, sa culture, ses cultes et sa civilisation dans sa totalité, que le sort tragique de ce navire de guerre aurait pu faire disparaître à jamais !
( A suivre)
Boubaker Ben Fraj
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Illustration haut de page : le Magenta en rade.