Chemins croisés
14 heures 30 mn à rentrer chez moi après un thé à papoter à la cafétéria du coin. Ruelle étroite en pente dont je commençais la remontée difficilement lorsque la mosquée se mit à bailler et déverser ses flots de prieurs après la salat du vendredi. Une foule compacte qui descendait et dégringolait. Des silhouettes de prieurs et de soeurs moutadaynettes, tapis sous l’aisselle précipitaient le pas pour regagner le bas dans un silence religieux perturbé par le seul frou frou discret des jupes longues qui balayaient la chaussée comme un vieux ventilateur détraqué et le bruit des moteurs qui redémarraient. La solitude qui remontait face à la foule compacte qui m’emportait avant de m’avaler noyé dans un brouhaha de takaballa allah et allah ybarek. Puis des voix qui m’appelaient. J’avais à peine à les distinguer avant de me souvenir que c’étaient de hauts cadres de la sécurité sociale qui semblaient pris à la fois de piété béate pour Dieu et de compassion pour ce solitaire de collègue qui remontait et prenait le chemin inverse.
Un faux échange en salamalecs furtifs à ne pas du tout savoir s’il fallait leur parler de ce monde réel dans lequel ils débarquaient ou du monde de sahih el boukhari et du nécessaire lavage de ses oreilles quand on pète du cul qu’ils viennent de quitter. Eux même ne savaient pas, encore sonnés par la fatiha qu’ils ont du répéter une dizaine de fois, gavés de ces versets qu’ils ingurgitaient mécaniquement sans y penser . Pas tout à fait réveillés de ces histoires à dormir debout ou même assis le cul sur le paillasson, sur la réalité de cet étranger auquel ils s’identifiaient qui remontait d’un pas assuré dans l’autre sens même s’ils se sentaient obligés de faire le chemin inverse. Moi non plus je savais pas par quel bout les prendre ces chers collègues entre deux mondes!
Salut simple auquel s’éternisait comme réponse de longs et solonnels essalamouuuuuu aleykom …., La rencontre n’a duré que quelques minutes. La foule coulait de nouveau comme un flot par temps d’orage. Je savais qu’elle ne pouvait plus m’emporter. Elle dévalait la pente et se détachait. Je remontais en jetant un coup d’œil derrière. Elle s’effilochait et disparaissait .Les lampions de la mosquée s’éteignaient, la ruelle retrouvait son calme et sa sérénité. Je retrouvais mon Dieu, Ils quittaient le leur.
Fadhi Ch’ghol