Trois jeunes danseuses ont été arrêtées en Iran début octobre. Toutes jouissaient d’un certain succès sur Instagram, où elles étaient suivies par des milliers de personnes. Selon l’Observatrice iranienne de la chaîne france24., de très nombreux danseurs, moins connus, ont également été condamnés ou menacés depuis l’an dernier.
Le 8 octobre, le média officiel YJC a annoncé avoir lancé des poursuites judiciaires contre de nombreux danseurs et arrêté trois danseuses, en mentionnant seulement leurs initiales.
Mais celles-ci correspondent aux noms de trois femmes célèbres : Sahra Afsharian, Sara Shariatmadari et Niloufar Motiei, spécialistes de la « shuffle dance », un style né en Australie autour du mouvement des musiques électroniques. Toutes avaient plusieurs dizaines de milliers d’abonnés sur Instagram et enseignaient cette danse à des élèves.
Elles sont accusées de « création de contenu obscène » et sont actuellement détenues à 40 kilomètres au sud de Téhéran, dans la prison pour femmes de Qarchak, connue pour ses conditions de détention très difficiles.
“Cela arrive à plein de gens, mais ils se sont pas aussi connus”
Ghazaleh W., 19 ans, est une Iranienne spécialiste de la danse classique et de la zumba, un mélange d’exercices sportifs et de danses d’inspiration latine. Après des menaces d’arrestation, elle a fui la ville de Tabriz (nord-ouest), il y a un an, pour se réfugier en Turquie, où elle enseigne la zumba et étudie le cinéma à l’université. Pour préserver sa sécurité, la rédaction des Observateurs de France 24 a décidé de ne pas révéler le nom de la ville dans laquelle elle vit.
« Je me suis mise à la danse sérieusement quand j’avais 15 ans, et j’ai décidé de montrer mon travail sur Instagram à 17 ans. Je partageais des photos et des vidéos et je n’imaginais pas un seul instant que cela pouvait être dangereux ou illégal. Plein d’autres filles faisaient cela, mon profil était privé, et j’avais seulement 2 000 abonnés. »
« J’avais entendu parler d’arrestations ou de convocations, mais ce n’était pas vraiment alarmant. Cela ressemblait à des arrestations arbitraires, simplement destinées à nous faire peur et à nous faire renoncer à notre passion. Ma seule crainte était que mes parents apprennent que je partage des photos et vidéos de moi en train de danser, puisqu’ils sont très conservateurs.«
Mais tout d’un coup, il y a un an, mon univers s’est écroulé. Masih Alinejad [une activiste iranienne anti-voile basée aux États-Unis, NDLR] a publié l’une de mes vidéos sur sa page Instagram. Un ami m’avait filmée en train de danser dans un parc de Tabriz et lui avait envoyé la vidéo.
Quelques minutes plus tard, mon profil Instagram a été piraté et je l’ai perdu. Plusieurs jours plus tard, la police est venue dans mon école pour demander mon adresse et à me rencontrer, avec mes parents. C’est à ce moment-là que ma famille a appris que j’avais une page Instagram, et tout le reste. C’est devenu infernal.
Mes parents ont voulu que j’arrête la danse, nous nous sommes beaucoup disputés à ce sujet. Quand j’ai insisté et dit que je n’abandonnerai pas, ils m’ont aidée à déménager en Turquie avant que la police ne m’arrête.
“Je ne reviendrai jamais en Iran”
« Je connais plein d’autres gens de ma ville qui ont été confrontés au même problème depuis l’année dernière. Chacun attire l’attention de la police d’une façon différente et est ensuite poursuivi, mais personne n’est aussi connu que les trois filles dont on parle dans les médias. Certains d’entre nous ont arrêté la danse, d’autres ont été arrêtés et d’autres encore, comme moi, se sont enfuis. »
« Il y a même trois gymnases de Tabriz, dans lesquels nous faisions des cours de danse, qui ont été fermés [de nombreux gymnases en Iran proposent des cours de danse “secrets”, cliquez ici pour en savoir plus, NDLR]. Je suis sûre que la situation est la même dans toutes les villes d’Iran : de nombreuses filles sont arrêtées ou poursuivies, et personne n’est au courant. »
« Je ne sais pas du tout pourquoi les arrestations et la pression se sont intensifiées depuis un an. Peut-être que le gouvernement iranien essaie de détourner l’attention de la population des problèmes plus graves comme la crise économique. »
« Désormais, je vis dans une petite ville très conservatrice. Il n’y a pas un seul club de danse et, de toute façon, je ne pourrais pas me payer de cours puisque ma famille ne me soutient plus. Je ne suis plus en contact avec mes parents. Mais dans tous les cas, je ne reviendrai jamais en Iran . »
Des personnes influentes sur les réseaux sociaux qui dérangent les autorités iraniennes
Ce n’est pas la première fois que les autorités iraniennes se montrent très strictes à l’égard des personnes influentes sur les réseaux sociaux.
Début octobre, la performeuse Sahar Tabar, connue pour ses opérations de chirurgie esthétique extrêmes, et ses surnoms de « mariée cadavérique d’Iran » ou « zombie d’Angelina Jolie », a également été arrêtée, pour blasphème. La télévision d’État iranienne a ensuite diffusé ses « confessions », la présentant comme une enfant perturbée élevée dans une famille difficile.
En juillet 2018, la danseuse Maedeh Jojabri, suivie par 600 000 personnes, avait également été arrêtée. Elle était ensuite apparue dans un documentaire de la télévision d’État, où elle admettait “avoir eu un comportement immoral” devant le procureur.
Toujours en juillet 2018, un célèbre site touristique avait été fermé après que des touristes s’étaient filmés en train de danser à l’intérieur.