Etonnante soumission ambiante et confusion des genres. Cette lâche soumission part d’un principe faux : les islamistes et leurs journaux et TV sont donc l’islam et le régime doit justifier ses politiques économiques ou sociales devant cette papauté méchante. Il est donc supposé que les islamistes sont l’islam et ses propriétaires et ses représentants légitimes et le régime doit rendre compte de ses visions devant ce parlement d’Allah. Des élus talibanisés sont aujourd’hui le signe marqueur de ce basculement de la république dans le califat diffus et ne s’en cachent pas : on ne se justifie pas devant le citoyen mais devant le croyant, on se sent coupable face aux islamistes et pas face à la république, on prend des gants pour s’expliquer devant une version de la charia et pas devant une constitution, une démocratie (même formelle) et devant une nation. Le lexique ambiant est celui de «ne pas heurter», ménager «les sensibilités», s’adapter aux «valeurs de la famille tunisienne», ne pas être en contradiction avec les fatwas.
Et le pire dans l’équation, est qu’il ne s’agit pas d’islam mais d’islamistes «normalisés» que ce régime et ses élus, parfois en mode sous-culture et lâcheté détestable, tentent désormais de ménager. Ils le font dans le discours, dans leurs propres familles et affichent le turban dans leur entourage. Aucune nuance n’est désormais de mise entre république et talibans, ni entre islam et islamistes, ni entre droits et lois, et fatwas et pressions idéologiques des islamistes. Rien. L’islam c’est les islamistes puisqu’ils crient plus forts, peuvent tuer, hurler et marcher. C’est le pays «du bras» et c’est donc eux qu’il s’agit de traiter avec égards pas cette nation pour qui des gens ne cessent de mourir depuis des siècles.
Cette culpabilité des élites est étonnante : on se justifie, on s’explique, on s’étale devant ceux qui ont cette insolence fantastique de se proclamer représentants de Dieu à l’exclusion des autres. L’islam appartient-il aux islamistes ? Non. Leur interprétation des textes est-elle la plus justifiée ? Bien sûr que non. Ont-ils ce droit d’élus de peser sur une politique ? Oui, en tant que citoyens, pas en tant que croyants dépositaires de la vérité absolue. Alors que cela cesse. C’est honteux de la part d’élites de venir ramper devant la barbe et de se comporter en larbins pour se sentir absout de cette sale culpabilité qu’ils ont devant des meurtriers de gens ou de sens.
Kamel Daoud