Je compte les secondes qui me séparent de toi. Nous deux sommes des cadavres. Nous deux fûmes la vie. Tu accours lorsque je chute. Tu t’inquiètes de mes silences. Tu te soucies de mes absences. Tu fus ma joie quand je suis triste. Tu parles à ma blessure, improvises des calmants quand je suis enragé. Tu me panses par les contes que tu fabriques, les anecdotes que tu récites, appris de Khaddouja, ta mère dont tu es la perle. Tu fus l’impératif, le verbe quand je me neutralise. Tout ce qui est ‘moi’ s’en va, et tout autour, c’est le vide et le regard hagard. Pourquoi suis-je en vie lorsque Tahar me quitte ? Mon corps chancelle et je m’abats. Ma main est molle. Mes doigts sont raides. Ma langue est sèche. Mes lèvres s’ouvrent et se ferment. Quels mots surgiront pour témoigner de la perte? Tous les amis sont là. Qui nous réconcilie lorsque nous nous disputons ? Sans toi, l’épuisement. Sans toi, la moisissure. C’est le déchet qu’on piétine, que tu ramasses, ranimes. C’est le déchet qui rumine. C’est le déchet sans voix. Aurais-je la force de te dire ‘adieu’. La loque est humide. Elle pleut de ton départ. Aurais-je la force de t’accompagner ? Quelle force ? Ma force, c’est toi, Tahar.
J’emmerde les dieux et les diables. J’emmerde les survivants. J’emmerde les forts et les faibles. J’emmerde les chiens errants. J’emmerde le temps
Qui peut feindre la joie quand tout autour est triste ?
Qui touche à l’abîme et dira qu’il existe?
L’abîme, c’est la souffrance. L’abîme, c’est ton départ
La ruine est son sosie. Elle vient à ma rencontre
J’accueille le néant, géant, profond et sombre
L’endeuillé est passif devant ce qui encombre
Je cède ma voix au vide, aux débris du silence
Autour, c’est le désert, je pleure ton absence
Autour, c’est la lourdeur, l’agonie qui s’annonce
Autour, c’est la terreur, c’est l’innommable démence
Penser s’éclate en morceaux
Je danse avec les fous, éclabousse les sages
Embrasse la laideur, et vomis sur le ‘beau’
Piétine le printemps, arrose l’été de rage
Jouis de dire ‘adieu’ aux belles illusions
Macabres, scabreuses et vaines, les miettes de questions
Écrire la mort conforte, deux-en-un me rassure
Qui supporte sans honte la honte du vivant
Quand vivre le déserte, quand vivre, c’est ton prénom?
Abdennebi Ben Beya