En Tunisie, les élections législatives d’octobre 2019 ont donné 52 sièges à la secte islamiste Ennahdha à l’Assemblée des représentants du peuple ( ARP ), se situant ainsi, comme la force la plus représentée dans cette assemblée. Conformément à l’article 89 de la constitution, Rached Ghannouchi, le Président de la secte, a proposé une personnalité de son choix, en la personne du nahdhaoui Habib Jamli, pour former le gouvernement, proposition entérinée par le Président de la République Kaïs Saïed.
En janvier 2020, le gouvernement formé par Habib Jamli n’a pas obtenu la confiance de l’ARP. C’était un gouvernement à majorité islamiste inféodé à Ennahdha et à son Président Rached Ghannouchi qui est, de surcroît, le Président de l’Assemblée législative.
Conformément à l’article 89 de la constitution, c’est au chef de l’Etat de nommer une personnalité de son choix qui aura la charge de constituer un nouveau gouvernement. Le Chef de l’Etat n’est pas obligé de désigner une personnalité issue du parti majoritaire ou ayant le plus grand nombre de sièges à l’ARP. Son choix a porté sur Elyes Fakhfakh, une personnalité qui n’a ni charisme ni légitimité.
Fakhfakh est un piètre candidat aux élections présidentielles et dont le parti (Ettakatol) n’a obtenu aucun siège à l’Assemblée législative d’octobre 2019. Toutefois, Elyes Fakhfakh est parrainé par le parti « Tahya Tounes » du chef du gouvernement Youssef Chahed.
Kaïs Saïed qui s’est trouvé une âme révolutionnaire après le 14 janvier 2011, semble avoir été séduit par le nom sifflé par Chahed pour porter le Fakhfakh ( qui n’a obtenu que 0,3% des voix lors des présidentielles ) , une personnalité effacée qu’il peut manipuler . Par ailleurs, Kaïes Saïed portant une aversion envers les partis formant l’assemblée législative, s’est rabattu sur Fakhfakh qui, bien que n’en faisant pas parti, aurait une aisance à traiter avec eux pour les avoir côtoyés depuis 2011, et ce, en vue de former un gouvernement ainsi qu’une assise législative, favorables à Kaïs Saïed qui cultive la prétention à sortir de ses pouvoirs étriqués pour pouvoir gouverner et engager le processus du changement de tout le système politique, éventuellement.
Pour assurer la plus forte chance possible à son gouvernement, Fakhfakh aurait pu tenter de traiter avec la majorité parlementaire qui a refusé de donner la confiance au gouvernement de Habib Jamli par 134 voix contre 72. Sauf que dès le départ, il s’est condamné à des risques inutiles en excluant des négociations le Parti « Qalb Tounes » qui dispose de 38 sièges et qui a été la pierre angulaire dans le rejet du gouvernement concocté par la secte des frères musulmans. C’était Kaïes Saïed qui a imposé cette exclusion. « Qalb Tounes » étant accusé d’être un parti de mafieux et de corrompus ne cadre pas avec sa réputation d’homme propre. Il ne faut pas oublier aussi que Nabil Karoui, le président de ce parti, était son principal concurrent lors du second tour des présidentielles.
La mission d’Ilyes Fakhfakh s’est révélée d’autant plus difficile, qu’il s’est réservé, sur instruction de Kaïs Saïed, la désignation du ministre de l’Intérieur et du ministre de la justice en dehors des partis de l’Assemblée, alors que le ministre de la défense et celui des affaires étrangères reviennent de droit au Président de la République. Le ministère de la fonction publique et de la réforme administrative est convoité par le Courant démocratique.
Dans ces conditions, la secte Ennahdha qui cherche à mettre sous sa main, l’intérieur, la justice, les communications et la fonction publique et à avoir un regard sur la défense et les relations extérieures, s’est trouvée privée des armes dont elle a besoin pour mettre sous son emprise le pays et la société entière en vue de son islamisation dans la pure lignée islamo-fasciste des frères musulmans.
Devant une telle menace, la majorité qui a refusé le gouvernement islamiste de Habib Jamli, doit s’organiser pour cautionner un gouvernement où les ongles de Rached Ghannouchi seraient arrondis faute de pouvoir l’écarter. Abir Moussi du Parti destourien libre et Mohammad Abbou du Courant démocratique doivent se dégager de leur nombrilisme et de leur sectarisme.
Il ne faudrait pas succomber aux menaces d’Ennahdha qui est sur le point d’être écarté du pouvoir. Il ne faut pas lui tendre la perche. Diaboliser Qalb Tounes ne servirait que la cause intégriste. Ennahdha lui fait la cour pour le discréditer et trouver un alibi pour provoquer la dissolution du parlement qui lui permettrait de reprendre du souffle. La raison principale de sa fronde actuelle, n’est pas l’exclusion de Qalb Tounes des négociations et de la formation du gouvernement d’union nationale. Cette secte cherche à mettre la pression pour s’assurer les ministères de la souveraineté, surtout qu’elle craint que ses sales dossiers ne soient ouverts et remis à la justice. Ainsi, toutes les concessions doivent être concédées en faveur d’un gouvernement et d’une majorité anti islamiste solide.
Aujourd’hui, si Ennahdha était réduite à sa juste mesure d’un « parti » fortement minoritaire sur le plan du corps électoral, il lui serait difficile de revenir à ses vieux démons car il n’en serait que plus discrédité. Cette secte préfère l’agonie en espérant un rétablissement que le suicide. Malgré ses menaces de se retirer du gouvernement et de ne pas lui accorder sa confiance, Ennahdha serait obligée de ne pas mettre sa menace à exécution. Dans ce cas, à la coalition qui s’est formée contre cette secte d’être vigilante.
Il ne faut pas perdre de vue que la secte Ennahdha n’a plus la marge de manœuvre qu’elle avait lors de son ascension en 2011, au ministère de l’intérieur qui s’est restructuré. L’armée est aux aguets. Ainsi, aurait-elle du mal à faire jouer sa carte terroriste et celle de la milice d’El Karama et des diverses mouvances islamistes. Ces menaces dans ce sens, ne sont que surenchères. Par ailleurs, sa base électorale a très sensiblement décliné et ses dirigeants se sont si embourgeoisés qu’ils seraient enclins à éviter les confrontations. Les menaces de cette secte ressemblent plus à la danse du coq égorgé.
L’influence de la confrérie des frères musulmans dans le monde est en perte de vitesse. Les gifles données par Abdelfettah Essissi, Bachar el Asad, le gouvernement soudanais, Hafter et le peuple algérien ont bien déstabilisé les frères musulmans tunisiens dont les soutiens extérieurs s’étiolent comme une peau de chagrin. Même le Qatar commence à les trouver encombrants. L’occident et la France qui a assassiné Khéddafi, ne permettraient pas à leur suzerain Erdogan de gambader en Libye et d’utiliser la Tunisie comme une passerelle.
Toutefois les ingérences étrangères en Tunisie sont imbriquées, puisque même l’Iran semble y avoir mis son nez, mais elles tournent toutes autour de l’encerclement des frères musulmans, contrairement à la situation en 2011. Les conditions objectives et subjectives sont en défaveur de cette secte, ce serait de la pure folie d’aller à l’encontre du cours de l’histoire. Accorder la confiance au gouvernement d’Ilyes Fakhfakh serait une entreprise salutaire qui éviterait aux pays plus de dérives et de cafouillages qui ne peuvent que favoriser la recrudescence de l’intégrisme.
Mounir Chebil