Sans la traduction fiable, audacieuse, sans censure et sans coupure, notre culture ne verra jamais la lumière. Ne posera jamais ses pas, ses poèmes, ses pinceaux et ses caméras sur le bon chemin de la culture humaniste et universelle. Mais pourquoi les Arabes et les Nord-Africains ont-ils peur de la traduction, la vraie traduction ?
Tout simplement, et sans rhétorique aucune, la traduction, la vraie traduction, est le miroir bien essuyé, bien nettoyé, qui reflète impeccablement notre visage. La traduction nous renvoie l’image de notre vérité, sans égocentrisme maladif !
Notre société, élite et peuple, ne peut accéder ni participer à la culture humaniste, si nous n’arrivons pas, et avec audace et perfection, de traduire les principaux phares de la production humaine dans tous les domaines sans exception aucune.
Le traducteur ne porte en lui ni l’œil du policier ni le bâton d’imam, il est hanté par l’humanisme et les rapprochements des cultures et des civilisations.
Sur le plan religieux : dans le but de nous inscrire dans l’espace du vivre ensemble en paix et le défendre, nous sommes appelés à traduire les livres religieux, les textes fondamentaux et leurs dérivés appartenant à d’autres religions monothéistes ou autres.
On ne traduit pas uniquement ce qui nous plaît ! Bien au contraire, nous avons besoin de traduire ce qui nous fâche. Ce qui nous met en question. On libère le lecteur du fanatisme et de l’extrémisme religieux par la traduction des textes des autres religions. Toute religion qui se renferme sur elle-même finira par tuer ses fidèles. Tout religieux qui ne lit pas d’autres religions tombera tôt ou tard dans la haine de l’autre. Rejette le vivre ensemble.
Toutes les nations civilisées du monde, qu’importe leurs religions, ont accès, dans leurs langues maternelles ou nationales, aux textes de l’islam à commencer par le Coran, texte fondamental, les hadiths, la philosophie musulmane et autres livres.
Partout dans le monde, en Europe comme aux USA, on trouve et facilement le Coran traduit dans toutes les langues, et en plusieurs traductions. Vendu dans toutes les librairies, disponible dans toutes les bibliothèques publiques, sur tous les supports médiatiques. Chez nous, dans tous les pays arabes et nord-africains, il est impossible de trouver la Bible ou la Torah dans nos librairies ou nos bibliothèques publiques ! C’est haram, c’est du prosélytisme, de l’évangélisation ! Le lecteur arabe et nord-africain est né mineur, culturellement politiquement parlant, et demeurera mineur toute sa vie ! Le système politique paternaliste choisit la lecture pour ses sujets ! Nous sommes nés musulmans, la religion n’est pas un choix individuel, elle est héritage ! De ce fait, on ne peut être un bon musulman sans lire les autres religions ! Et c’est la traduction qui libère le musulman de cette situation d’héritier contraint ou renforce en lui la foi.
Sur le plan relations intimes, les Arabes et les Nord-Africains sont les premiers consommateurs des produits culturels pornographiques, audiovisuels notamment. La société masculine vit une obsession permanente transgénérationnelle. Vu l’enfermement imposé par l’hypocrisie morale et culturelle, le citoyen est une proie facile à la production culturelle la plus mauvaise dans le domaine de l’éducation sexuelle.
Et parce que la traduction est contrôlée par des moralisateurs avec une moralité immoraliste religieuse et politique, tous les livres, romans, essais et autres traitant la sexualité d’une façon claire, réelle et humaine, sont déplumés une fois passés dans la langue arabe. Tout texte osé dans la littérature universelle dès qu’il est traduit en arabe, change de peau ! Il n’est pas traduit, il est arabisé ! Avec une telle démarche, nous n’arriverons jamais à décomplexer le lecteur de son obsession sexuelle, devenue un phénomène sociétal, religieux et culturel. Afin de libérer le lecteur de ce complexe et de cette hypocrisie morale et sociale, nous sommes dans l’obligation de traduire les grands livres traitant de ce sujet, loin de toute censure moraliste.
Les féqihs d’antan à l’instar de Sayyouti, Nefzaoui, Ibn Hazm, Ibn el qayyim, Ibn Dawoud et autres ont beaucoup écrit sur la sexualité, avec un courage et une clarté philosophique. Si leur courage intellectuel est exemplaire, leurs écrits ne sont plus d’actualité. À la lumière des nouvelles sciences humaines et technologiques, nous sommes appelés à renouveler le discours et les approches autour de la sexualité et de l’amour. Sur le plan politique, lire l’ennemi avant l’allié.
Comme sur le plan de la religion ou de la sexualité, le lecteur a besoin d’une traduction des livres qui critiquent notre mode de vie politique et économique gangrénée par toutes sortes de maladies. La confiance entre le gouverneur et le gouverné ne s’installe jamais sans la critique renouvelée. La critique venant de la part d’un ennemi qui a réussi.
Tout n’est pas rose. Pour réconcilier le citoyen avec la politique positive, aimer son pays, il faut lui présenter des livres de qualité traduits qui le mettent à l’abri du tout culte de la personnalité. Ainsi, pourra-t-il repenser sa réalité et celle de son pays.
Amin Zaoui