Scandale : l’Université Franco-Tunisienne est littéralement « hors la loi »

Réponse à la réponse du Ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique à propos du scandale de l’Université Franco-Tunisienne (UFTAM).

Dans sa réponse (que je repartage ci-bas ), le ministère avoue (enfin!) que cette université est littéralement « hors la loi » et il consacre toute sa phraséologie à justifier cela.
On apprend ainsi que dès le départ, dès le protocole d’accord, notre gouvernement (en l’occurrence notre ministre de l’enseignement supérieur) n’a pas respecté les lois de notre pays.

Dans sa réponse, le ministère parle d’université Tuniso—française, alors qu’il s’agit d’une université franco-tunisienne (ce n’est pas qu’un détail et le fait d’avoir inversé l’ordre des appartenances n’est pas neutre).

L’argumentation relative à la création de cette université est faible (ou alors elle prend le lecteur pour un « faible » d’esprit). Dire que l’objectif de cette création est de « lutter contre le chômage des diplômés tunisiens » est de la poudre aux yeux et une tromperie (pour ne pas dire autre chose) : Afin de lutter contre le chômage des diplômés tunisiens, il faudrait réformer les établissements tunisiens et non pas créer une nouvelle université privée franco-tunisienne.

De même, renforcer le positionnement de l’université tunisienne en Afrique aurait exigé de réformer les dizaines d’université/facultés/instituts tunisiens et non pas de créer une sorte de ghetto pour des personnes capables de payer plus de 9000 dinars de frais d’inscription annuels. Autrement dit, la coopération entre l’université Tunisienne et l’Afrique passe par les facultés et les instituts tunisiens et non par une université franco-tunisienne qui aurait la forme de société anonyme (on se demande qui sont les actionnaires pressentis dans ce montage)

Dans sa réponse, le ministère affirme également que les deux États se sont mis d’accord pour créer une société anonyme (!). Eh oui! deux Etats qui se mettent d’accord pour créer une société anonyme… Non pas créer une université publique franco-tunisienne (comme on aurait pu s’y attendre) mais une entreprise privée (!). Chose que l’État français ne fait pas en France et chose qui montre qu’en passant, on donne des avantages à une association appelée à devenir une société anonyme après avoir bénéficié du soutien et des moyens de l’Etat.

Si on peut s’interroger sur les relations entre les membres de cette association, et les futurs actionnaires de cette entreprise, on peut également se demander pourquoi il n’y a pas eu un appel à concurrence aux universités privées tunisiennes pour qu’elles se présentent en toute transparence pour être associée à ce projet? un tel « montage » aurait été plus logique et de toute façon, plus transparent.

Bref, la création d’une association qui utilise des locaux d’une université publique et les moyens (y compris les noms) des établissements publics pour délivrer des diplômes à 9000 dinars n’est pas légale.

En outre, cette association aurait reçu 500 000 euros de l’étranger, ce qui serait une autre distorsion à la concurrence envers les autres structures du secteur privé tunisien et qui pose la question du contrôle du financement des associations tunisiennes par l’étranger (en permettant à une association de recevoir de l’argent de l’étranger et d’organiser des formations universitaires dans les locaux d’établissements publics tunisiens, on ouvre une brèche très grave pour les organisation et autres associations affiliées à l’étranger et qui ne rêvent que de corrompre les esprits de nos jeunes).
La réponse du ministère affirme également que l’objectif de l’association est de faire un « accompagnement technique et financier pour la création de l’UFTAM. » Or il se trouve que cette association a aujourd’hui un site web et inscrit (en toute illégalité) des étudiants un master. Cette association aurait donc outrepassé ses propres objectifs initiaux (au lieu d’accompagner la création de l’université, elle joue le rôle d’université)… sous le regard complice – et le silence coupable – du ministère ! qui a autorisé que les locaux de l’institut publique TBS soient exploités par une entité privée ( l’UFTAM)? Qui a autorisé et qui a signé cette convention? Quels sont les termes de cette convention ?? Si la réponse du ministère avoue implicitement que celui qui a signé cette convention n’a pas respecté les lois du pays, qu’a fait le ministère pour arrêter cette dérive? Quelles seront les sanctions contre les auteurs de cette dérive??

La réponse de la ministre évoque une « volonté politique » qui aurait conduit à « accélérer » la création de l’université « sans attendre la fin des procédures prévues et nécessaires » (!). La « volonté politique » et la « raison d’Etat » est un alibi classique derrière lequel se cachent ceux qui ne respectent pas les législations d’un État. Qui est derrière cette « volonté politique » et cet empressement à aller au-delà des procédures et à ne pas attendre la « fin des procédures »? Il s’agit de la « volonté politique » de quel homme politique exactement ? Est-ce que cette « volonté » politique est une excuse pour se mettre au-dessus des lois?

Le ministère avoue que l’UFTAM pose des problèmes juridiques et qu’en conséquence, il a envoyé le « dossier » au CAREP (la commission d’assainissement et de restructuration des entreprises publiques) (!!). oui…. vous avez bien lu « commission d’assainissement et de restructuration des Entreprises publiques » ! Chose d’autant plus étonnante, que cette même réponse du ministère affirme que l’intention de l’État est de créer une société anonyme et que pour l’instant, il n’y a qu’une association (ni société anonyme, ni entreprise publique ni même une société à participation publique) !!. Pour rappel, s’il devait y avoir une société anonyme, celle-ci ne relèverait même pas du CAREP (!). Manifestement, il y a là une façon de renvoyer le dossier à une commission non compétente pour gagner du temps ou pour brouiller les pistes de la responsabilité. Cela est une nouvelle preuve de la légèreté avec laquelle on traite ce dossier. Au lieu d’arrêter les dégâts, on veut noyer le poisson ou gagner du temps !

En conclusion, le ministère affirme qu’il veut « apurer » ce dossier en « assurant le cadre juridique et matériel nécessaire » ( !!). Là aussi c’est incroyable ! lorsque le cadre légal n’existe pas, on arrête les dégâts, on détermine les responsabilités et ensuite, éventuellement, on procède aux ajustements nécessaires. On ne change pas le cadre juridique pour qu’une entité hors la loi rentre dans la légalité (!). Comment est-ce qu’un ministère peut oser présenter les choses ainsi ?!… c’est juste incroyable !
Enfin, la réponse du ministère nous ressort l’argument de « faire de la Tunisie une destination pour les étudiants africains ». Si on voulait réellement faire de la Tunisie une destination pour les étudiants africains on ferait en sorte que les universités tunisiennes puissent mieux accueillir ces étudiants (y compris en créant plus de co-diplomation avec des universités françaises ou allemandes ou américaines ou autre) dans le cadre des universités publiques du pays…

Bref, en un mot, la réponse du ministère est un aveu et une preuve que cette université UFTAM est hors la loi. L’argument selon lequel cela serait acceptable parce que cela relèverait de la coopération internationale ne tient pas pour la simple raison que c’est un ministre qui a signé (et négocié) cette coopération et que ce ministre n’a donc pas respecté les lois de son propre pays.

Derrière ce cafouillage, cette création par le ministère lui-même d’une structure hors la loi, sous couvert d’une association qu’il transformerait par la suite en société anonyme et l’usage abusif des moyens de l’Etat, il y a une forte présomption de conflits d’intérêt et de pantouflage réalisé par l’ancien ministre qui, depuis, a présenté sa démission pour devenir recteur du réseau des universités francophones...malheureusement, l’actuelle ministre est elle-même impliquée dans ce montage avec la France (puisqu’elle met sur son CV qu’elle est fondatrice de l’UFTAM…)..

Une enquête indépendante s’impose et il est urgent d’arrêter les dégâts pour ne pas impliquer d’autres étudiants tunisiens et africains dans cette embrouille… il est également urgent de respecter la législation tunisienne et que chacun assume ses responsabilités. Surtout ceux qui sont supposés donner l’exemple à nos jeunes. La justice devrait être saisie ou s’autosaisir.
Qu’on se le dise : La Tunisie n’est pas et ne sera jamais une République bananière, et son université n’est pas une serpillère ! J’espère que le message sera capté et que le bon sens finira par l’emporter pour le bien de notre université

Karim Ben Kahla

Illustration haut de page : Slim Khalbous , l’ancien ministre , qui a toléré tous ces dépassements