Mazzouna… le sursaut désespéré d’un pouvoir à l’agonie

Il ne reste plus que la parole. Une parole dressée telle une bannière épuisée dans la brume d’un matin à Mazzouna. Dans cette région du centre-ouest, où le « pays profond » gémit sous le poids d’une colère contenue et d’une lassitude sociale, le président Kaïs Saïed est apparu en fin de nuit  pour saluer un peuple qu’il s’obstine à nommer « loyal », tout en s’en prenant dans le même souffle aux « traîtres », aux « infiltrés » et aux fantômes d’une prétendue insubordination.

Ce n’est plus un exercice de gouvernance, mais une incantation. Une prière politique récitée sur les ruines d’un appareil d’État privé de son oxygène démocratique. Celui qui voit dans cette déclaration un appel au rassemblement se trompe : c’est un cri de solitude. Le pouvoir n’accuse plus : il supplie qu’on le reconnaisse encore comme source de l’ordre. Il n’agit plus : il implore.

La fiction d’un peuple purifié

À Mazzouna, le président n’est pas venu saluer une région, mais tenter de sauver une fiction : celle d’un peuple homogène, purifié, soumis sans condition à un chef dont l’autorité ne tient plus que par la répétition de mots grandiloquents. Mais ce peuple façonné par le verbe n’existe pas. Ceux que l’on nomme aujourd’hui « infiltrés » sont bien souvent les enfants même de cette terre oubliée, en quête de dignité et de pain.

Quand nommer remplace le fait d’agir

Il est plus facile de désigner des ennemis que de proposer des solutions. Dans cette rhétorique éreintée, le président ne parle plus à la nation : il la stigmatise. Les médias sont invités à diffuser les images d’un « nettoyage civique », les réseaux sociaux à se plier à un récit binaire : le bien contre le mal, l’ordre contre le chaos. Pourtant, ce chaos est social, économique, existentiel. Il ne se balaie pas avec des slogans. Il se comprend, se soigne… ou finit par éclater.

Le dernier souffle d’un cycle épuisé

Ce discours prononcé à Mazzouna ressemble au dernier souffle d’un cycle qui s’épuise. Non pas que les institutions tomberont demain, mais parce que la légitimité se désagrège de l’intérieur. Ne restent que des secousses : visites improvisées, déclarations martiales, invocations de trahison. L’architecture d’un pouvoir vidé de ses contrepoids s’est muée en un monologue tragique. Et ce monologue ne convainc plus que ceux qui en tirent encore profit.

Reste la nation… meurtrie, mais lucide

Face à cela, la Tunisie réelle observe, endure, et attend. Elle sait désormais qu’un discours ne nourrit pas. Que la loyauté ne se décrète pas. Et que ceux que l’on cherche à balayer aujourd’hui seront peut-être, demain, les bâtisseurs du retour à une démocratie salutaire.

Ce matin-là à Mazzouna, Kais Saïed a parlé. Mais c’est le silence du pays entier qui a résonné plus fort.

Par Rafik Chaabouni