Amel Alouane fait preuve d’un conformisme égal à celui de beaucoup de bigots

Dans un talk-show diffusé hier sur la chaîne Ettasia, Amel Alouane a déclaré avoir refusé de tourner dans des films contenant des scènes de nu. Pour justifier son point de vue, elle a avancé des arguments d’une banalité affligeante et s’est mise à employer le vocabulaire sommaire des vieilles mamies et les tournures simplistes qui leur sont propres en qualifiant le nu au cinéma d’« a3ré w gré ».

Ces pseudo-artistes doivent comprendre que les artistes, les vrais, ceux qui sont dignes de ce nom, pas ceux qui font preuve d’un conformisme intellectuel sclérosant et qui sont ancrés dans la doxa étouffante, ont depuis longtemps jeté aux orties les tabous et interdits d’autrefois. Ils estiment que la pudeur est un phénomène culturel et non naturel.

La nudité, pour eux, n’est plus sujet à polémique. Ils admettent une nudité innocente, qu’un corps nu soit porteur d’un message politique ou le support d’un message intellectuel. Ce qui est loin d’être notre cas, nous autres, prétendument arabo-musulmans, dont la nudité n’a d’autre visée que la baise – un plaisir ô combien diabolisé sous nos cieux islamo-bédouins.

Journaleux et pseudo-artistes ont l’outrecuidance de qualifier les scènes de nu de « scandaleux, d’atteinte à la morale, d’acte irresponsable et d’atteinte au goût et au respect des traditions (mouch mte3na). » Nous vivons l’ère de la bêtise généralisée, et les journaleux tels que Hédi Zaïem et Naoufel Ouertani et les actrices incultes comme Amel Alouane en sont les fiers porte-drapeaux.

Les programmes diffusés par la télé poubelle et les radios populacières sont suivis quotidiennement par des millions de Tunisiens et nul parmi les moralisateurs ne semble s’émouvoir de la médiocrité dans laquelle nous pataugeons. La vue d’un bout de sein ou d’un baiser semble davantage les perturber que la violence ou le triomphe de la connerie.

Il faut comprendre que dans une société comme la nôtre, la plupart des gens condamnent la nudité, notamment lorsqu’elle se pratique en public. Les gens sont scandalisés car ils font systématiquement l’amalgame entre nudité et sexualité. Les primitifs n’arrivent pas à concevoir une nudité qui ne soit pas sexuelle.

Ils interprètent la nudité comme un message sexuel, comme une « invitation à la luxure », ils l’abordent exclusivement sous l’angle pulsionnel… Et comme la libre sexualité est associée au haram, les plus conservateurs montent sur leurs grands chevaux, dressent des tribunaux d’inquisition et exhortent le commun des Tunisiens à les rejoindre dans la défense de « nos » valeurs. Et, bien entendu, nos progressistes capitulent à la première éructation et battent leur coulpe.

Tout cela révèle, in fine, un mode de raisonnement primaire. Quand une personne apparaît complètement nue sur scène ou dans un film, dans une société encore attachée aux normes contraignantes en matière de mœurs et qui adhère massivement aux préceptes d’une sexualité surveillée, c’est tout le contrôle social qui est mis à mal.

Les Tunisiens, et les sociétés dites arabo-musulmanes d’une façon générale, ne pourront jamais comprendre que l’art est par définition amoral et que les artistes ne sont pas censés respecter les règles de la morale traditionnelle.

Tout artiste digne de ce nom doit prôner l’indépendance de l’art à l’égard de tout jugement de valeur morale. Un artiste n’est pas tenu de se plier à un ensemble de convictions rigides émanant d’un système de croyances où les valeurs conservatrices prévalent sur les valeurs « moralement répréhensibles ».

Libre à Amel Alouane, même si elle est hostile au projet islamiste, de se prétendre artiste tout en faisant preuve d’un conformisme égal à celui de beaucoup de bigots, libres aux Gardiens du Temple de la morale et des bonnes mœurs d’envisager la nudité comme un outrage à la morale publique.

Libres à eux d’associer la nudité à la honte et à la débauche, libres à eux de rester prisonniers des tabous moraux et sociaux et d’enseigner à leurs enfants qu’il faut avoir honte d’être nu, mais qu’ils arrêtent de vouloir à tout prix nous imposer leur vision du monde médiocre et leurs diktats de merde. Que ces endeuillés du slip le comprennent une fois pour toutes : l’art est par définition amoral.

Pierrot LeFou