J’avoue ne pas être de ceux qui démissionnent ni de ceux qui ne tarissent pas d’éloges pour les démissionnaires. Mais cela est personnel et ne m’empêche pas de respecter ceux qui agissent ou pensent différemment de moi. Néanmoins, je reste dans une suspicion certaine quand je sens derrière la démission un quelconque marchandage ou un certain calcul à peine voilés. C’est d’ailleurs ce que j’avais laissé entendre en commentant la démission de Abid Briki et je crois avoir eu confirmation de ma première impression en suivant, par la suite, le défilé de ses déclarations et la série de contradictions qui s’en dégageait.
Cette fois, je ne crois pas devoir aller trop vite en besogne et établir un parallèle systématique entre la démission de la poétesse Amel Moussa et celle de Abid Briki ; mais une concertation soupçonneuse me saisit d’emblée, indépendamment de l’évolution de la situation. En effet, Amel est une amie de longue date, le respect mutuel est le fondement essentiel de nos rapports et j’ai été content pour elle quand le ministre des Affaires culturelles, Mohamed Zinelabidine, l’a nommée à la tête de la 53° édition du festival de Carthage, pour la session de 2017. Pourtant, en mon for intérieur, je me suis demandé si, objectivement, le geste magnanime du ministre pouvait répondre adéquatement aux responsabilités engagées dans cette nomination. Puis, comme la plupart des gens, j’ai fini par saluer la confiance placée dans une femme de la plume (ou du clavier), après le défilé des musiciens et musicologues, pour diriger la plus lourde et la plus importante manifestation culturelle de notre pays.
Ma déception est grande, après la démission d’A. Moussa, parce que cette démission me paraît remettre en question aujourd’hui l’habilitation des écrivains à diriger des manifestations culturelles de haut niveau, alors que le passé est riche d’arguments contraires. Evidemment, comme à chaque démission, tout un lexique se met en branle, selon la position qu’on prend à son propos, souvent aussi selon des considérations personnelles : défaitisme, échec, défaite, regret, liberté, dignité, responsabilité, courage, refus, indignation, principe, cri, victoire, etc. Mais restons-en au cas précis qui est l’objet de mon propos ici, celui d’A. Moussa.
Je veux bien reconnaître à Amel le malaise qu’elle peut sentir, jusqu’à l’exaspération, de se confronter à certaines personnes que lui impose l’administration (et non le ministre, tel que cela paraît dans son texte de démission). De fait, tous ceux qui ont fait l’expérience de la responsabilité administrative savent qu’on est souvent acculé à de telles situations. Supporter l’Autre, même le moins désirable, c’est la grande leçon de l’administration. Et la direction du festival de Carthage allie forcément la contrainte administrative à l’élan créateur, qui n’est pas souvent très bien accueilli par les agents d’une machine classique, de lourde tradition.
Il y a donc bel et bien, dans la démission d’Amel, une grande lassitude. Libre à chacun d’y mettre les mots qu’il veut, mais c’est d’abord de cela qu’il s’agit. Et c’est là aussi que la précipitation de la poétesse a nui à la démarche, me semble-t-il. En effet, l’éthique administrative, au moins sa déontologie, exigent de rendre compte de la crise au responsable de tutelle, celui qui avait pris la décision de nommer, et non de se lancer dans une campagne de presse dont on finit par ne plus entrevoir les aboutissants. Pire encore, on commence à contester le projet culturel auquel on a adhéré par la seule acceptation de la nomination. On va plus loin, jusqu’à nier l’existence d’un tel projet. Puis, de fil en aiguille, on en vient à la quasi-diffamation du ministre. Comment s’étonner alors que quelques commentateurs sur les réseaux sociaux l’interpellent en ces termes : « Ce n’est pas ainsi qu’on peut convoiter un ministère, Madame ! »
N’est-ce pas curieux que ceux de notre élite qui parlent le plus de dialogue soient portés, plus que d’autres, à ne pas y recourir en cas de tension ? En définitive, force est de soupçonner Amel Moussa d’avoir agi à la manière de Abid Briki ! En tout cas, c’est l’impression qu’elle a donné à certains citoyens. En attendant la suite…
Mansour M’henni