J’ai été pendant deux ans en poste au Cameroun, en tant que directeur régional de l’Agence universitaire de la Francophonie et Ambassadeur honoraire, pour l’Afrique centrale et les Grands lacs, une région de 13 pays. Pendant mon mandat, j’ai visité 12 pays subsahariens.
Je n’ai pas visité un seul pays où je n’ai pas rencontré de tunisiens, opérant en expert libre ou pour le compte d’une entreprise tunisienne. L’expertise tunisienne est très appréciée et ce n’est pas facile de s’imposer dans un milieu où les russes, les chinois et les turcs se bousculent pour se positionner là où les anciennes puissances coloniales sont de moins en moins acceptées.
Dans l’autre sens, la destination Tunisie est fort appréciée, en témoigne le nombre d’étudiants subsahariens qui poursuivent leurs études en Tunisie ou ceux qui viennent pour des soins médicaux. Mais il y a le problème de l’immigration clandestine (pas si clandestine que ça) qui a suscité une vive polémique ces derniers temps.
Selon l’INS, seule source officielle digne de foi, il y aurait 21.000 subsahariens en Tunisie! On est bien loin des chiffres de 1 million avancés par certains chroniqueurs incultes qui envahissent nos plateaux. Dans ce nombre, il y a 6.000 étudiants et 7.000 en situation irrégulière.
C’est légitime que l’Etat veuille mettre de l’ordre au niveau de ce dossier, mais de quelle manière? Certainement pas celle du président qui a fait une déclaration incendiaire et publié un décret porté sur la solution sécuritaire et répressive, au terme d’un conseil national de la sécurité où l’approche sociologique, culturelle et humanitaire a été occultée. Cette déclaration a lancé la polémique et la chasse à l’homme, en témoignent les communiqués des associations estudiantines subsahariennes qui expriment la peur et la consternation, ainsi que les incidents ciblant cette communauté.
La Tunisie a bien accueilli 2 millions de réfugiés libyens en 2011, dont une partie est encore parmi nous. A-t-on besoin de susciter autant de polémique et de haine autour de 7.000 subsahariens, alors que :
1- Nous avons des compatriotes qui résident dans cette région et qui peuvent être la cible de réactions xénophobes.
2- Tous les bailleurs de fonds s’accordent à dire que l’Afrique subsaharienne constitue pour les 50 ans à venir la première destination d’investissement et d’expertise dans le monde, d’où l’intérêt pour la Tunisie de s’y positionner.
3- L’expertise tunisienne est appréciée, ainsi que la destination Tunisie, par les populations de cette région.
Entre la réglementation et la haine, il y a un abîme. La Tunisie est en train de rater, encore une fois, le coche.
Feu Daly Jazi avait une annotation subtile qu’il apposait à son courrier lorsqu’il s’agissait d’un problème épineux qui nécessite pondération et réflexion : « Il est urgent d’attendre! ».
Eh oui, Monsieur le Président, il était urgent d’attendre !!!
Adel Ben Amor