« Hyènes » aux Journées Cinématographiques de Carthage

Chaque année, c’est bis repetita. Je boude dans un premier temps les journées cinématographiques de Carthage, avant de retrouver le chemin des salles obscures. En effet, je trouve qu’il est inconcevable d’organiser un festival de cinéma dans un pays qui ne comprend qu’une vingtaine de salles de projection et où le nombre des spectateurs est peu important tout le long de l’année.

En réalité, les journées cinématographiques de Carthage ne sont rien de plus qu’une « passion éphémère » pour le cinéma de qualité. L’engouement pour les journées cinématographiques de Carthage relève plus de l’instinct grégaire que d’une véritable passion pour le cinéma. Toujours est-il que je profite de cet événement annuel, généralement les deux ou trois derniers jours de la semaine des JCC, pour regarder de vieux films et documentaires remastérisés. Ils me laissent, à chaque fois, un souvenir impérissable.

Par exemple, hier après-midi, j’ai regardé un film sénégalais : Hyènes. Je ne connaissais pas Jibril Diop Mambety, le réalisateur de ce film. Grâce à Hyènes, j’ai découvert un réalisateur poète, un réalisateur-plasticien hors pair. J’ai beaucoup aimé ce film vieux de vingt-sept ans. Et si j’écris ce statut, c’est pour vous faire partager mes impressions.

Que raconte-t-il Hyènes ?

Trente ans après avoir quittée Colobane, un petit village fantôme de la banlieue de Dakar, Linguère Ramatou, une ancienne bonne, revient au pays milliardaire et avec la ferme intention de se venger de Draman Drameh, son ancien amant. Celui-ci l’avait engrossée lorsqu’elle avait dix-sept ans, avant de faire comparaître deux faux témoins à sa décharge et de porter son dévolu sur une femme plus riche. Prostrée par la honte, Linguère Ramatou quitte son village natal pour aller se prostituer sur les cinq continents.

Colobane gémit dans la pauvreté la plus extrême, les autorités sont désemparées et la mairie est saisie par des huissiers. Linguère Ramatou offre ses largesses à la population locale et promet de renflouer les caisses de la mairie, mais à une seule condition : que soit mis à mort Draman Drameh.

Hyènes est une allégorie de la soumission du continent africain aux puissances de l’argent et à la corruption du capitalisme mondialisé. Ce film propose une réflexion sur le pouvoir de l’argent en filant une allégorie sur la dépendance de l’Afrique vis-à-vis de l’aide occidentale. Dans ce film, le réalisateur dénonce avec une lucidité visionnaire et poétique, mais non moins cruelle, l’argent corrupteur et l’impureté d’un monde noyé dans une illusoire opulence créée par des puissances intéressées.

L’on peut voir dans ce film annonciateur qui date de 1992 des messages d’une actualité déconcertante. La trame de ce film sénégalais ne correspond pas à une fiction naïve ou à des élucubrations d’anciens colonisés, mais c’est une sorte de prophétie. En effet, Jibril Diop Mambety a vite pris conscience des menaces que la mondialisation fait peser sur le continent africain. Hyènes est un conte cruel qui fustige la corruption et la lâcheté des êtres humains face au pouvoir de l’argent, ainsi il met à jour la hyène qui sommeille en chacun.

En outre, le réalisateur enrobe cette fable à la fois cruelle et poétique de belles métaphores, mais aussi de compositions de plans et d’une impétuosité de couleurs qui forcent l’admiration. Le souci de l’esthétique et le souci de la métaphore sont manifestement très présents chez Jibril Diop Mambety, et cela ne fait qu’ajouter au plaisir que l’on éprouve à regarder Hyènes.

Je voudrais finir sur une réplique de Linguère Ramatou, une femme qui rentre au bercail après avoir fait fortune mais dont les blessures physiques et intérieures la rendent implacable et cynique. Elle est amputée de deux membres et complètement déterminée à régler ses comptes et à se venger du destin qui lui a été imposé : « Le monde a fait de moi une putain. Je veux faire du monde un bordel. » A méditer.

Pierrot LeFou

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