La fausse accusation de la peine capitale

J’ai toujours hésité à me prononcer sur un sujet aussi intellectuellement difficile et moralement grave car la confusion y est vite encourue entre la réflexion philosophique, une construction de l’esprit détachée des contingences, d’une part et l’opinion, une émanation de la réalité c’est-à-dire du monde sensible, d’autre part. Le crime odieux dont fut l’objet, il y a quelques jours, une jeune fille sur le chemin du retour chez ses parents m’a enfin décidé à apporter ci-après ma modeste contribution au débat qui agite notre société et où continuent de s’affronter, peut être cette fois avec plus d’acuité du fait d’un certain flou judiciaire, les thèses incitatrices à l’abolition de la peine capitale et à son maintien. Souvent, inconsidérément perçues par les tenants de l’une et de l’autre, soit comme une marque superficielle de progrès, soit comme l’expression d’une vindicte populaire instinctive, le risque est grand d’une confiscation idéologique du problème par les politiques dans le but de plaire plus que d’être utiles. Ce n’est pas faute de m’être suffisamment appesanti sur les écrits de Victor Hugo hostiles à la peine de mort et notamment son discours prononcé devant l’Assemblée Constituante de 1848 en faveur de son abandon ou ceux de Robert Badinter et sa poignante plaidoirie devant l’Assemblée Nationale française dont a résulté le vote de la loi du 9 octobre 1981 portant son abolition, qu’émerveillé par leur génie oratoire, je refuse néanmoins tout crédit à leurs arguments. Je pourrais même leur en ajouter un, plus simple encore, à savoir que la nature étant seule dispensatrice de la vie, la société n’aurait pas le droit de reprendre ce qu’elle n’a pas donné. Pour que l’on saisisse mieux ce qui suivra de cette communication hors surenchères, j’ajouterai que je suis peut être intimement plus impliqué dans ce débat auquel beaucoup d’abolitionnistes notoires sont venus sur le tard puisqu’en 1960, à l’âge de quinze ans, élève de seconde au Lycée de Garçons de Sousse, ayant pour professeur de français Mademoiselle Lambin, une disciple et grande amie de J.P Sartre, qui a consacré en ma classe toute une heure de cours au cas de Caryl Chessman, condamné à mort par le gaz et auteur, de l’intérieur de sa prison californienne de San Quentin, d’une œuvre littéraire inouïe « Cellule 2455- Couloir de la mort », j’avais envoyé, ainsi que d’autres camarades l’ont fait individuellement, au Président des USA, Dwight Eisenhower, une lettre rédigée en anglais dans laquelle je le suppliais de lui accorder sa grâce. Je passe outre l’intensité du moment, on la devine aisément. Il va sans dire que ma sensibilité, précocement sollicitée par un questionnement angoissant, ne pouvait que se prolonger indéfiniment dans la quête d’une réponse que j’ai paradoxalement évitée aux moments cruciaux où, à chaque fois, ses éléments me semblaient avoir été réunis. Il y a toujours un petit quelque chose qui manque au raisonnement sommé, en tant que tel, d’aboutir à une conclusion sans équivoque. C’est dire si la question est difficile. Ce qui la rend ainsi est qu’elle est mal posée.
Les abolitionnistes l’appréhendent de manière univoque en focalisant leur raisonnement sur le droit de l’auteur du crime à la vie, une sorte de droit résiduel inatteignable au châtiment qui, même inclusivement par la mort, dénote, de ce point de vue, une volonté prêtée à la société de se venger par une sanction qui clôt une affaire plus que de se protéger par la loi pénale en tant qu’elle fait suivre des mêmes effets les mêmes causes. Leur crédo unanimement invoqué de la barbarie attachée à la peine capitale souffre donc de cette tare originelle de reposer sur l’irrationalité de la notion de vengeance. Or une sanction pénale doit être d’abord utile à la société et c’est dans sa portée dissuasive que réside son utilité. Sur ce terrain aussi, les mêmes protagonistes trouvent à ergoter, faisant dire aux statistiques que la peine capitale ne réduit pas le nombre des crimes qu’elle sanctionne, voire qu’elle induit, en excédent, des comportements connexes de gravités comparables. Laissons de côté les théories plus ou moins échevelées et bornons nous à l’essentiel. Sur le premier point, je me limiterai à dire qu’aucune brute, en proie à une soudaine impulsion ou de propos délibéré ne renoncera à commettre un crime passible de la peine capitale par emprunt d’une cogitation philosophique abolitionniste. Elle ne le devra qu’à son instinct de conservation, à une peur physique inhibitrice que seule ladite peine est de nature à lui inspirer. A cet égard, il ne fait aucun doute que la mansuétude des juges et d’une manière générale le laxisme judiciaire tant au niveau de la condamnation qu’à celui de l’exécution des peines prononcées érodent considérablement la dissuasion, contribuant de manière passive à la propagation et à l’aggravation de la délinquance. Quant aux statistiques en la matière, elles ne peuvent rendre compte d’une corrélation entre le nombre de crimes anciennement passibles de la peine capitale commis postérieurement à son abolition, sur une période comparable non seulement en durée mais aussi en conditions économiques de vie et autres paramètres, que pour constater son augmentation comme ce fut prouvé aux USA dans plusieurs états ayant rétabli ladite peine. Sa diminution est impossible à établir mathématiquement, elle relève de la conjecture.
Je ne ferai pas aux abolitionnistes, que je respecte beaucoup, l’affront d’une conclusion faisant grief de leurs nobles sentiments, mais leur poserai cette question: De quel poids pourraient peser les vies de tous les criminels reconnus coupables des crimes les plus crapuleux, jugés régulièrement, condamnés à mort et exécutés en alternative de celle d’une jeune fille innocente, inconnue et qui le restera toujours, pour laquelle le viol, puis le meurtre ont été évités par le désistement de celui qui l’attendait au coin d’une rue sombre et déserte et dans l’esprit duquel aura surgi à temps l’image d’un gibet ou d’une chaise électrique?

Abdessalem Larif