La gloire de mon père !

Il a quitté Zarmdine et ses oliviers pour aller travailler en France vers les anneés 65-66 du siècle dernier. Ne savant pas dire un mot de français et ne savant ni lire ni écrire mais doté d’une intelligence hors du commun, il a vite appris le nécessaire du voyage pour vivre et survivre dans un pays qu’il ne connaissait pas du tout. Son premier retour en Tunisie a eu lieu 3 ans plus tard. Il a chargé une grosse valise sur le porte-bagage de sa mobylette rouge et a pris le chemin de Marseille partant de Nice (Juan les Pins exactement). A Marseille, il a pris le bateau pour la Goulette. Arrivé à Tunis, il a pris la route pour Zarmdine mais il s’est trouvé à Chrahil (Menzel khir aujourd’hui, je crois). Lui qui voulait tout faire par lui même était obligé de se renseigner pour retrouver la route vers Zarmdine.

Il est arrivé tard dans la nuit! Personne n’était au courant. A l’époque, les portables étaient un projet dans la tête des ingénieurs les plus doués.

C’est seulement le matin qu’on s’est rendu compte de sa présence dans la maison. Nous étions très petits et c’est ma mère, rayonnante, qui est venue nous annoncer la bonne nouvelle : boukom ja!!
Ma petite sœur (qui avait à peine quelques semaines à son départ et qui est aujourd’hui grand mère) lui a simplement demandé: jab el 7alwa? Jeb halwa w zouza w boufriwa w tartara (mobylette), lui a répondu ma mère.

Le mot tartara était suffisant, pour mon frère et moi, nous faire sauter du lit. Après les embrassades d’usage et le premiers câlins paternels après toutes ces années de son absence, nous sommes sortis dans la cour de la maison inspecter l’engin. Moi je le regardais avec admiration et mon frère cherchait à monter dessus.

Mon père expliquait avec les termes d’un expert qu’on était trop jeune pour le conduire mais mon frère était impatient. Il posait mille et une questions sur le comment et le pourquoi de la machine, et à force de tripoter la bête il a fini par la faire tomber et à lui casser son rétroviseur.
Alors que mon père était sur le point de se fâcher et sortir sa première remontrance, ma mère l’arrêta avec une seule phrase qui raisonne encore aujourd’hui dans ma tête: Ya Brahim , rahom fer7anine bik!

Et puis nous avons grandi et la mobylette avec. J’avais un respect maladif pour cette machine. A l’opposé de mes frères, puis mes neveux, je ne l’ai utilisée que très très rarement. C’était quelque chose de sacré pour lequel nous devions avoir respect et considération.

Ensuite, les années ont fait leur effet sur elle, et après de bons et loyaux services, la mobylette a pris sa retraite et place au fond d’un garage pour devenir presque un objet de collection.

Lors de mon dernier voyage en Tunisie, en garant ma voiture, j’ai l’ai aperçue. Elle avait vraiment le poids du temps sur ses « épaules » (sa carcasse) mais son souvenir est resté étincelant dans ma mémoire . Je me suis rappelé mon père, ses voyages, ses allers-retours en France, l’apprentissage de piloter une mobylette par toute une famille, son retour à sa fla7a et tous les plaisirs que cet engin nous a procuré étant gosses et j’ai décidé de lui redonner vie.

Elle est, depuis hier, remise à neuf à la mémoire de mon père et à la gloire de sa personne et la voir ainsi m’a fait pleurer!
!..AH..!

Ali Gannoun