Les cinéastes américains sont les enfants de Hitchcock mais il leur manque la sensibilité et l’émotivité du maître

Je viens de regarder Hitchcock / Truffaut de Kent Jones, un documentaire réalisé à partir du célèbre livre d’entretiens Le cinéma selon Alfred Hitchcock. Contrairement à l’ouvrage dont le réalisateur français est l’initiateur et qui est une série d’échanges entre François Truffaut et Alfred Hitchcock, le documentaire est une rétrospective de la carrière du cinéaste britannique.

François Truffaut n’a jamais caché sa fascination pour l’art de la mise en scène d’Alfred Hitchcock. Il a toujours estimé que le maître du suspense n’était pas apprécié à sa juste valeur. Dans les années 1960, il propose une série d’entretiens à Hitchcock pour décortiquer son œuvre et percer les secrets de ce grand cinéaste que Truffaut considère comme son maître et qui a commencé sa carrière à l’époque du cinéma muet.

Hitchcock accepte le principe de répondre à 500 questions portant exclusivement sur sa carrière. L’entretien durera plusieurs jours et Truffaut en fera un livre : Le cinéma selon Alfred Hitchcock, communément appelé Le Hitchbook, qui deviendra la Bible de tous les cinéastes, du moins des cinéastes dignes de ce nom.

Même si le livre est de loin plus intéressant que le documentaire, ce dernier analyse la mise en scène et l’écriture qui ont rendu Hitchcock un des grands maîtres du cinéma mondial. Hitchcock/Truffaut (film) s’arrête sur certains détails qui font partie des éléments caractéristiques du style Hitchcock et explique comment le réalisateur britannique donnait du rythme à ses films tout en ôtant le côté théâtral de la réalisation.

Tout comme le livre, le documentaire s’intéresse au suspense qui joue un rôle important dans l’écriture hitchcockienne. Avec le réalisateur de Psychose, on comprend que le suspense n’est pas, comme on le croit souvent, la manipulation d’un matériel violent, mais que c’est beaucoup plus subtil que cela. Grâce à Alfred Hitchcock, on comprend que le suspense se crée à partir de la dilatation de la durée, de l’amplification d’une attente et de la mise en valeur de manière implicite de tout ce qui fait battre le cœur du spectateur un peu plus fort.

D’ailleurs, les réalisateurs qui sont venus après Hitchcock, notamment ceux qui se revendiquent hitchcockiens, ont bien compris que le suspense n’était pas exclusivement fait d’éléments visuels. Hitchcock ménageait le suspense et jetait l’anxiété dans les esprits en suggérant, en attirant l’attention du public sur des détails significatifs, en s’attardant sur tel élément du récit plutôt que sur tel autre…

Hitchcock faisait monter l’angoisse dans les salles et jouait habilement avec l’émotion de son public avec de simples détails, en privilégiant un personnage par les yeux de qui les choses seront vues – et ressenties par le public -, en filmant des plans rapprochés de sorte que le public s’identifie au personnage, en s’attardant sur les yeux quelques secondes de trop sur un visage afin d’augmenter notre curiosité, à telle enseigne que lorsque le personnage a peur, nous avons peur avec lui, lorsqu’il est soulagé, nous le sommes également.

Alfred Hitchcock a compris qu’un film se regarde comme on lit un roman et qu’une histoire doit être racontée selon un « point de vue », autant dire qu’il s’agit là d’une méthode à laquelle recourent les romanciers. Dans ces films, Hitchcock ne prétend pas nous instruire ou apprendre quelque chose, mais il tente de nous intriguer, de nous troubler, de nous captiver et surtout nous faire participer émotionnellement au récit qu’il a choisi de raconter.

Hitchcock réalisait ses films avec un soin extraordinaire et une grande passion, mais aussi avec beaucoup d’émotivité (même si elle était toujours masquée) et une maîtrise technique qui frôlait souvent la perfection. Il travaillait comme un chef d’orchestre qui dirige ses instrumentistes et fait avancer la symphonie dont chaque note, chaque accord, chaque soupir et chaque silence est prévu sur la partition.

Les célèbres cinéastes* qui apparaissent dans ce documentaire ont compris cette forme d’écriture et l’ont adoptée. Les cinéastes américains, par exemple, sont tous des enfants de Hitchcock. En effet, le maître absolu du suspense a déclenché des vocations et marqué plusieurs générations. En revanche, derrière le goût de ces réalisateurs pour l’usage dramatique de la caméra, il leur manque la sensibilité et l’émotivité du maître anglais, il leur manque aussi l’émotion et la perception intime et profonde que l’on éprouve en regardant les films de Hitchcock.

*De célèbres réalisateurs apparaissent dans ce documentaire ; à savoir David Fincher, Paul Schrader, Olivier Assayas, Peter Bogdanovich, James Gray, Arnaud Desplechin, Kiyoshi Kurosawa, etc. Toutes les interventions sont de haute facture, mais, personnellement, j’ai été impressionné par les analyses de Martin Scorsese qui connaît le cinéma de Hitchcock sur le bout des doigts.

Pierrot LeFou