Je me dois de vous raconter cette histoire, car elle implique un homme kabyle des plus patriotes, des plus fiers de son identité amazigh, un rescapé et blessé de la révolution kabyle des années 80. A côté de ces moindres qualités, il est avant tout une bibliothèque mobile qui secoue les consciences des endormis jusqu’à aujourd’hui. Il a fait de l’athéisme une discussion familiale, de la religion : une plaisanterie de mauvais goût et fut une cible des islamistes durant la décennie noire. Tout cela ficelé par un humour décapant, il est prisonnier d’un corps mourant et d’un esprit qui lui refuse ce privilège.
A la naissance de son premier fils, il s’empressa de l’enregistrer à l’état civil, qui, à l’époque refusèrent d’inscrire tous prénoms à non-consonance islamique. Malgré quelques difficultés et beaucoup de livres d’histoire, il réussit à convaincre l’APC que le prénom est bel et bien « propre » à cette terre et bien plus que Mohamed. Aussi opiniâtre que courageux, il obtint gain de cause. Mais en inscrivant le sexe de l’enfant, qui était inconnu à l’époque – même de la plupart des kabyles – La secrétaire de la Mairie le mit sous le sexe féminin. Massinissa grandit comme garçon dans la rue et fille dans l’état civil. Une année avant de passer son baccalauréat, l’administration découvrit l’erreur lors du dossier et exigea des rectifications, alors que le garçon avait passé quelques années dans l’établissement en question. Le papa pensait que puisque la Mairie avait fait cette erreur, il appartenait à la Mairie de la rectifier. En sachant que l’administration algérienne ne prenait jamais la responsabilité de ses erreurs, il s’entêta et refusa d’aller à la justice pour une rectification. Inquiet, Massinissa supplia son père de faire les démarches afin qu’il puisse passer son examen. Il mit ses conditions à son fils et demanda une dernière audience avec le directeur du Lycée et le jour arrivé, il habilla son fils d’une robe kabyle et d’un foulard et se présenta dans le bureau du directeur et des membres du Ministère de l’Education. Maquillé, le jeune Massinissa était maintenant devenue une belle jeune fille kabyle que trahissait des petites moustaches et des avant-bras poilus. Voyant son fils était sur le point d’exploser de rire, il lui indiqua une chaise en lui disant : « Qim a yelli ! » (Assis-toi ma fille) Le visage caché entre ses mains, Massinissa éclata finalement d’un rire audible. Le père s’avança vers le bureau et sortit quelques pages de sa poche intérieure qu’il met dans l’ordre et :
« Monsieur le Directeur et Mesdames et Messieurs de la wilaya,
Vous aviez raison ! Je viens ici devant vous pour m’excuser de m’être trompé aussi lourdement sur le sexe de ma fille. A la maison, sa mère et moi, ainsi que cinq de ses frères et sœurs, nous avions toujours considéré Massinissa comme un garçon… sans jamais le moindre soupçon. Nous sommes aussi des victimes de cette supercherie, pointant le doigt vers Massinissa, la voilà ! La voilà ! La responsable de toute cette confusion. Quelle idée ! Quelle idée de s’armer d’un pénis et d’une paire de testicules comme déguisement pour tromper son petit monde. J’ai honte d’être son père.
Vous verriez l’état de sa mère en apprenant que c’était une fille, alors qu’elle avait dansé toute la nuit lors de sa circoncision. Pas à un moment, même sous la torture, elle nous avoua qu’elle était une fille. A la puberté, elle commença même à laisser les moustaches et faire pousser des poils un peu partout sur son corps pour gagner notre confiance. Qui aurait pensé que nous serions trahis par notre propre fille ?
Grace à vous, nous allons rectifier cette erreur lamentable dès qu’elle aura son baccalauréat, nous avons l’intention de lui faire visiter Casablanca pour la récompenser. Merci à vous de nous avoir mis la puce à l’oreille, car nous aurions pu passer toute notre vie sans nous apercevoir. »
Tassadit Amrouche