L’âne est mon animal préféré. Il est mon préféré parce que je le trouve humain. Intelligent. Très beau. Et énormément patient. Humain face à la cruauté de l’homme. Intelligent face la médiocrité de l’être humain. Rien d’humanité dans l’humain que le mot ! Il subit avec patience les sauvageries et l’animalité humaine de l’homme !
J’aime l’âne parce qu’il est herbivore. L’homme est une sangsue. Carnivore. Ne demandez pas au loup d’être herbivore. Soif, l’âne est porteur d’eau pour les assoiffés. Passant des longues nuits dans le froid, les pattes dans la neige ou dans la boue et le dos sous la pluie, il est porteur de bois pour le feu des bien-chauffés. Généreux. Heureux de procurer le bonheur aux autres.
La propreté de beaucoup de villes, notamment les quartiers mémoires à l’image de la Casbah d’Alger, celles de Fez, de Béjaïa, de Tlemcen, de Tunis, de Constantine… cette propreté est faite grâce au dos de l’âne. L’honneur revient à ce bel animal qui depuis des siècles, et il continue de le faire, n’a pas cessé de grimper ou descendre les ruelles serpentant dans les hauteurs et les ravins pour récolter les ordures et offrir le bonheur et l’hygiène aux Casbahs défigurées par l’homme sauvage. J’adore la symphonie jouée par les sabots d’âne sur les pavés artisanaux des Casbahs à l’heure de l’appel à la prière d’el fajr. Dès que j’entends cette magique musique des sabots je me dis : le flamenco est né entre les sabots des ânes. Les majestueuses danseuses de flamenco n’ont rien d’extraordinaire que d’imiter les belles démarches des ânes grimpant les ruelles des anciennes villes d’Andalousie.
Même si sa voix est vue et représentée par les religieux comme une mauvaise voix. Comme une voix symbole de la malédiction, moi j’aime écouter l’âne en train de braire. Triste, nostalgique, romantique ou méditatif son hihan me donne chaleur au cœur. L’âne possède le plus grand pénis, il ne s’est jamais dit qu’il est supérieur de celui de l’homme ou celui du lion ou celui du cheval. Il est modeste et timide, fils de famille !
Elles sont nombreuses les révolutions faites sur les dos d’ânes. Les grandes révolutions bourgeoises et prolétariennes comme celles des libérations nationales, toutes étaient réalisées sur les dos des ânes. Et après chaque révolution ou guerre de libération, les hommes volent les honneurs du couronnement. Et l’âne est jeté dehors ou dans les meilleurs cas mis dans une sale écurie devant une pelote de chaume!
Même quand il s’agit de rappeler à la sagesse et à la prudence ces soi-disant hommes chauffards, afin de ralentir la vitesse des folles voitures, on donne le nom : “Dos d’âne”.
L’âne est mon animal préféré. L’âne est un animal qui suit son cœur. Il est fidèle à son ânesse. L’âne ne trompe jamais son amante. Même quand il est forcé, par l’homme infidèle, de monter la jument, il le fait les yeux bandés. Comme quelqu’un qui est conduit vers une guillotine pour être exécuté. Et parce qu’il ne veut pas trahir son cœur, ni son ânesse, ni sa race noble, le fruit de son accouplement avec la jument n’est qu’une créature stérile, sans filiation : le mulet. Il ne veut pas être hybride.
L’âne est mon animal préféré, parce qu’un jour l’un de mes ancêtres berbères, un génie appelé Apulée de Madaure, s’est construit sa gloire de grand romancier “sur” le dos d’un âne. Le nom d’Apulée est mémorisé dans l’histoire de la littérature universelle grâce à l’âne. A son roman intitulé : l’âne d’or. Titre provocateur et révélateur : “l’âne d’or”.
Depuis la nuit des temps, les ânes sont de l’or, or 38 carats!
Pourquoi j’adore l’âne ? Tout simplement, parce que tout le monde, et depuis mon enfance, me disait : tu es un âne. Et c’est vrai, je suis un âne parce que je refuse de faire ce que font les autres humains ! J’assume.
Amin Zaoui