Il fut un 20 d’avril 1980. Un jour printanier pas comme les autres jours à Tizi Ouzou. Ce jour, seul, a fait toute la saison du printemps. Oui, une hirondelle berbère fait le Printemps algérien ! Et un olivier (thazamourth) fait la forêt. Et un homme, seul, un argaz équivaut toute une armée ! Ce 20 avril 1980, Argaz était là, au rendez-vous de l’Histoire, un intellectuel visionnaire, il s’appelle Mouloud Mammeri. Il débarqua à l’université de Tizi Ouzou pour donner une conférence sur “La poésie kabyle ancienne” ! Une conférence qui ne ressemble pas aux conférences universitaires ronflantes. Le pouvoir, représenté par le wali, a ordonné l’interdiction de la conférence. Et le printemps a fleuri dans le bocage des mots et des vers ! Quarante ans après, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts ! 40 ans de questions ! Des tués : Massinissa Guermah et les 128 autres.
Des détenus : Saïd Saâdi, Djamel Zenati, Arezki Aït Larbi et les autres. La deuxième marche de l’Histoire a débuté après celle du 1er novembre 1954. De ces 40 ans de questions, trois réflexions peuvent être dégagées ! La première : la poésie est l’âme d’un peuple. Toute identité martyrisée trouve son refuge dans la poésie, la chanson et le conte. Fragile, la poésie est partie pour la révolution.
Et nous retenons de ce Printemps amazigh une leçon écrite sur une tablette divine : la poésie kabyle est baroudeuse ! Une conférence sur des vers a cassé la maison en verre du pouvoir ! Les despotes jettent les poètes dans les geôles ; les Nazim Hikmet, Moufdi Zakariya, Anna Greki, Bachir Hadj-Ali, Boualem Khalfa… Depuis Avril 1980, les poètes ont changé de statut ; ils ne sont plus les fous, les égarés, les dévoyés, les fourvoyés. Ils sont devenus les apôtres de la liberté. Leurs paroles ne sont pas délires, mais des prophéties.
Les vers font reculer les tanks ! Mouloud Mammeri, en ce 20 Avril 1980, nous a appris que la poésie est le lit de l’identité. La deuxième réflexion : de ce Printemps berbère, nous avons appris que la “régionalisation” n’est pas le “démantèlement” d’une nation. Quand la “régionalisation” est portée par la démocratie, elle est le ciment pour forger une nation forte et en bonne santé.
La “régionalisation” est le pas sûr vers une bonne gouvernance. Un pas avéré vers la concurrence positive entre les régions d’une grande nation. Une voie vers la transparence. Un engagement contre la corruption. Elle est la valorisation du génie local ! Le respect de l’intelligence locale. Ainsi, le Printemps berbère est un appel, pour tous les Algériens, à une révision fondamentale de notre Histoire.
Sans une lecture claire de notre histoire, notre avenir demeurera incertain ! Le Printemps berbère nous a alertés sur les riches composantes de notre nation, de notre Algérie plurielle. La troisième réflexion : après le Printemps berbère, et par peur de la démocratie, et afin de freiner la marche juste de l’Histoire, le pouvoir conservateur a tenté l’implantation de l’idéologie islamiste en Kabylie. Le président Chadli Bendjedid (1979-1992) a déroulé le tapis rouge pour les chefs les plus durs des Frères musulmans égyptiens.
Il est devenu un pantin idéologique, entre les mains d’un cheikh Mohamed Al-Ghazali et d’un Youcef Qaradaoui, accueillis en prophètes en Algérie ! Par ses émissions télévisées du lundi et ses prêches du vendredi, Mohamed Ghazali s’est montré chargé d’une mission politico-religieuse claire : l’islamisation de l’Algérie et tout particulièrement de la Kabylie. Une région qui, par son histoire moderne et par le Printemps berbère, est devenue symbole de rébellion. Bannière de la démocratie pour toute l’Algérie. Ainsi, les constructions des mosquées se sont multipliées, le nombre des salles de prières dans les universités et les lycées s’est accru.
Les associations religieuses poussaient comme des champignons dans les villes comme Béjaïa, Tizi Ouzou, Bouira, Boumerdès, Alger… faisant voix de l’organisation mondiale des Frères musulmans. L’islamisation de la Kabylie, qui se prolonge durant l’ère de Bouteflika, visait à étouffer l’âme du Printemps berbère. Les Frères musulmans voulaient remplacer l’islam amazigh, connu par son ouverture, par un autre islam importé, violent, intolérant. Après l’islamisation des espaces citadins et ruraux kabyles, ils tentent d’islamiser la robe kabyle.
Cette robe chargée d’histoire et de cultures. Oui, la robe kabyle est menacée par l’islamisation. Et pour terminer : j’appelle les intellectuels, les universitaires, les artistes, les artisans et les associations féminines à faire pression sur le ministère de la Culture et celui du Tourisme pour inscrire “la robe kabyle sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco” afin de faire barrage à tout viol islamiste contre un symbole féminin capital.
Amin Zaoui