L’idée d’aborder la question du régionalisme a germé dans l’esprit de certains journalistes, animateurs et blogueurs à la suite des déclarations-chocs de Meriem Debbagh sur Ettasia. Je pense qu’il est utile d’apporter quelques précisions sur ce point : j’ai l’impression que tout ce beau monde s’est trompé de paradigme.
En effet, actuellement, le régionalisme ne saurait être entendu dans le sens traditionnel du terme : « les Jendoubiens sont comme ça… » ; « les Sfaxiens sont comme ça » ; « les Sahéliens sont comme ça… »
Je pense que les Tunisiens d’aujourd’hui, quelle que soit la catégorie sociale ou la région à laquelle ils appartiennent, ne nourrissent plus une aversion injustifiée pour telle ou telle région, même si préjugés et expressions stigmatisantes perdurent dans le langage de tous les jours.
Ceux qui affichent leur mépris envers ceux qui emploient le « guéla », ou « galli-gotlek » comme on aime si bien dire, n’ont pas de haine envers une quelconque région, ils ont un problème avec une certaine manière d’être, avec certains comportements et valeurs associés aux ruraux et aux citadins d’origine rurale des quartiers populaires.
Les bourgeois des villes côtières qui laissent parfois passer un certain mépris n’essentialisent pas le « rifi ». En réalité, ils ont un problème avec les Tunisiens d’origine campagnarde mus par la jalousie et dont la personnalité est basée sur la rancune, la revanche et l’ingratitude.
Disons-le franchement et sans ambages. Aujourd’hui, des femmes comme Abir Moussi et Meriem Debbagh incarnent un peu la réaction de la bourgeoisie traditionnelle et des villes côtières face à ce qui se passe dans le pays depuis quelques années. Il faut comprendre que cette frange de la population considérée, à tort ou à raison, comme privilégiée s’en prend plein la gueule depuis 2011.
Elle en a marre qu’on lui impute à longueur de journée la responsabilité des malheurs dont pâtissent les petites gens, les « guéla », elle en a marre de se faire sans cesse agresser et culpabiliser et d’être vouée aux gémonies dès qu’elle exprime son ras-le-bol en des termes crues et virulents.
Les bourgeois des villes côtières qui dénigrent l’accent des Tunisiens issus de l’intérieur n’ont pas de problème avec une région particulière, ils ont un problème avec le profil du Tunisien qui leur fait peur et auquel ils associent nombre de tares : grossièreté, délinquance, agressivité, violence, misogynie, bigoterie, manque d’éducation, incivilité et manque de civisme, médiocrité, ignorance…
Si certains Tunisiens dénigrent ceux qui parlent avec le « guéla », ce n’est pas par haine pour les ruraux et les néo-citadins ou par haine de telle région de l’intérieur, ce dénigrement et ces moqueries s’expliquent par le sentiment de menace que suscite le côté rétrograde et rustre des « guéla » qui habitent les régions de l’intérieur et les quartiers populaires des grandes villes.
Allons-y franco ! Une frange de la population tunisienne se retrouvent dans le discours d’Abir Moussi, Maya Ksouri et Meriem Debbagh, car cette partie de la population tunisienne en a assez de se faire dénigrer par des gens rongés par la rancune et au discours vindicatif et revanchard sous-prétexte qu’ils ont été marginalisés et méprisés pendant plus de soixante ans. Le mépris et une réponse aux agressions que subissent les Tunisiens considérés comme faisant partie des privilégiés et qui craignent aujourd’hui pour leur mode de vie.
C’est surtout une réponse à l’esprit de vengeance qui s’est épanoui après la chute de Ben Ali et qui, en réalité, existait bien avant 2011 mais était latent. C’est une réponse à une violence exercée contre une « élite » abhorrée, diabolisée et enviée. Bref, c’est une réponse à la médiocrité qui règne en maîtresse absolue sur la Tunisie depuis plusieurs années.
Le discours pleurard des Tunisiens d’origine rurale qui se sentent méprisés, et qui expriment régulièrement leur douleur par un concert de lamentations, n’a plus lieu d’être. En effet, ces Tunisiens-là, les néo-citadins, dominent aujourd’hui toutes les grandes villes tunisiennes avec une majorité écrasante et détiennent une hégémonie culturelle sur l’ensemble de la société.
D’ailleurs, leur culture est tellement présente dans notre quotidien, elle est tellement relayée et valorisée par les médias, qu’elle a ruiné insidieusement la qualité de vie urbaine et les valeurs et comportements liés au civisme.
Les « guéla » occupent aujourd’hui les postes de haute responsabilité et ont, depuis longtemps, transformer à leur image le visage de la société tunisienne et son mode de vie.
Là où on va, ils sont toujours en surnombre par rapport aux catégories sociales privilégiées, lesquelles catégories privilégiées sont sans cesse accusées de « hogra » (comportement méprisant et arrogant).
En fait, ce dont on ne se rend pas compte, c’est que les personnes qui dénigrent les « jboura » et qui leur font du mal, celles qui se montrent très arrogantes avec les petites gens, sont souvent issues du même milieu qu’eux.
Ce sont, le plus souvent, des parvenus qui ont réussi à se faire une place au soleil. Les parvenus, très souvent associés à la bourgeoisie traditionnelle, ne ménagent pas ceux qui les renvoient à leurs origines.
En effet, ceux qui prononcent des paroles blessantes et qui se montrent méprisants envers les gens qui emploient le « guéla » sont souvent eux-mêmes d’origine rurale. Ils tentent toujours de se rassurer en rappelant à ceux qui veulent les entendre que les « jboura » et eux ne sont pas faits de la même étoffe.
D’ailleurs, ces derniers ont une prédilection particulière pour le mot « jabri » qu’ils balancent à tout-va et au visage du premier basané qu’ils rencontrent. Ils emploient également très souvent l’expression « oueld/ouled blèd », sous-entendant qu’ils en font partie.
Pierrot LeFou