Je viens de revoir Tendresse du loup. C’est un film intéressant de Jilani Saâdi qui a été projeté sur les écrans tunisiens en 2006. Le réalisateur dépeint l’errance d’une jeunesse paumée, désœuvrée et désabusée qui trouve dans l’alcool et la violence des exutoires à ses frustrations et à l’incompréhension de la société qui l’a enfantée. Il met également à nu les plaies qui rongent la société tunisienne depuis de nombreuses années, telles que le chômage, la précarité à laquelle sont confrontés les jeunes des quartiers populaires, l’impossibilité d’échapper à la cruelle réalité même après une belle nuit d’amour, l’interdiction d’espérer, la privation de rêve…
Jilani Saâdi y fait également une assez bonne description des restaurants du centre-ville de Tunis qui prétendent être des lieux d’animation nocturne, alors que ce ne sont en fait que des endroits sordides qui permettent à certaines tunisiennes de se livrer à la prostitution sous l’œil bienveillant des patrons des lieux et avec la complicité d’une flicaille corrompue jusqu’à l’os.
L’une de ces prostituées, Saloua (Anissa Daoud), est l’héroïne du film. Jeune et aguichante, elle s’est retrouvée prise dans une tournante. Pour se venger, elle fait appel à son frère et ses copains aux mines patibulaires. Ces derniers attrapent Stoufa (Mohamed Grayaâ) – les autres s’étant enfuis -, le seul du groupe d’agresseurs qui n’ait pas participé au viol en réunion et qui voulait délivrer Saloua des griffes de ses copains violeurs.
La scène du crime sexuel perpétrée à l’encontre de Saloua est devenue culte. C’est l’une des meilleures scènes de viol que j’ai vues au cinéma. Les violeurs étaient d’un cynisme révoltant. Ils faisaient semblant de fêter le dépucelage de leur ami Dhahbi (Habib Ben M’barek), un albinos au physique disgracieux, et effectuaient leur sale besogne sous l’air d’une chanson traditionnelle qu’on entonne dans tous les mariages tunisiens.
Sur ces entrefaites, la victime se débattait, criait et pleurait toutes les larmes de son corps. Ensuite, Saloua cède de guerre lasse. Elle se résigne et reste allongée sur le capot de la voiture en s’enfermant dans un silence total. Le silence procure à cette scène de viol une intensité dramatique encore plus angoissante. C’est la scène la plus dure du film. L’altercation verbale qui précède le viol résume un peu la rancœur qui anime bon nombre de jeunes tunisiens contre les femmes.
Tendresse du loup n’est pas un chef-d’œuvre cinématographique. En revanche, c’est un film glauque qui est d’une actualité déconcertante.
Pierrot LeFou