Théâtre : « Le radeau » : une quête de sens à la vie

Toujours heureux de constater, en dépit de tous les aléas et parce qu’il faut bien résister aux ennemis de la vie, qu’il y’a encore des lieux d’expression libre et de création en Tunisie. C’est justement en un de ces lieux, en l’occurrence Le Rio, que manage mon ami Bel Hedi Habib, un « résistant culturel », que j’ai vu la pièce Echqaf « Le radeau» produite par l’espace El Hamra, créé et porté à bout de bras par feu Ezzeddine Guannoun et réalisée par Cyrine Gannoun et Majdi Boumatar.

Cette pièce se veut une réflexion sur l’immigration clandestine. Ses causes, ses motivations, son profilage et surtout ses espoirs et ses malheurs. Porté par des comédiens issus de pays et de culture différents, en butte aux affres de la privation, de la frustration, du viol, du rejet, de l’enfermement, de la spoliation, de la guerre et au final du manque d’air et de l’étouffement, le propos gagne en profondeur dramatique voire tragique. En huis clos, dans une embarcation de fortune, dans l’immensité de la mer, la pièce nous donne à voir un éventail de personnages aux destins fracassés, aux rêves brisés, aux ailes coupées, à l’horizon bouché, poussés au désespoir et qui utilisent les seules armes qui leur restent celles du désespoir : donner la seule chose qui leur appartienne en propre … leur vie!

Alors, pièce sur l’immigration, notamment économique ? Pas que. Je dirais même pas du tout. Ce n’est que l’argument comme on dit au théâtre. C’est une allégorie sur l’état de notre société en quête de son devenir. Tout y est ou presque. Une embarcation brinquebalante, un pilote fourbe, incompétent et corrompu, une navigation à vue, des passagers désespérés, masqués, abandonnés mais néanmoins prêts à tout, y compris sacrifier l’un des leur pour sauver leur peau et finalement ballotés vers une issue qui ne peut qu’être fatale.

Dans un décor minimaliste, sans fioritures, sombre qui exprime la dureté, les comédiens donnent à voir et à écouter des tranches de vie, des parcours, des récits et finalement des trajectoires sur lesquelles ils n’avaient aucune prise et c’est en cela que la pièce atteint une dimension tragique. Un casting juste avec une mention spéciale tout de même pour Rim Hamrouni, éblouissante de naturel et de légèreté.

Avec cette pièce, Cyrine Guannoun s’est fait un prénom. Bonne continuation.

Habib Karaouli