Les belles-lettres et les arts pourront-ils, un jour, sauver l’école endommagée ? Tout se décide, se dessine, s’enfante à l’école !
Le nombre d’élèves dans l’école algérienne dépasse les 11 millions. Un nombre ahurissant! Un peuple juvénile qui avance vers un avenir hasardeux ou pas très clair. Un trésor humain inestimable dont le futur est ouvert aux risques comme aux bonheurs aussi, peut-être! Onze millions, un peu plus, est une richesse humaine précieuse à partir de laquelle on peut réaliser les plus grandes victoires historiques, scientifiques, économiques et créatives comme on peut aussi faire d’elle des bombes humaines suicidaires et explosives.
Tout se décide à l’école. Tout s’engendre à l’école!
La création de l’Histoire noble et la création de ceux qui forgent cette Histoire poussent sur les bancs des classes.
C’est à l’école que naissent le citoyen du monde et le citoyen de la patrie.
L’école actuelle est entre le marteau et l’enclume, il faut le dire. D’une part, elle est victime de l’hégémonie de l’idéologie passéiste archaïque et pesante, dure et suicidaire. Les programmes scolaires sont nourris des idées qui ne cessent de propulser la culture de la haine, celle de la peur de l’Autre et celle du mépris des autres religions. D’autre part, elle est la proie de la précipitation pédagogique, cela perdure depuis l’arabisation hâtive dans les années soixante-dix jusqu’à la ruée idéologique antipédagogique actuelle visant à évincer l’enseignement de la langue française et à le remplacer par l’anglais.
L’idéologie tue l’école, quelle que soit cette idéologie.
Personne n’est contre l’enseignement de l’anglais, déjà enseigné depuis des décennies dans notre école.
Mais l’enseignement d’une langue étrangère ou d’une quelconque autre langue doit se faire dans la réflexion et le calme, dans une vision pédagogique globale et réfléchie loin de toute charge idéologique opportuniste.
Toutes les langues sont belles et efficaces, elles nous aident à nous ouvrir sur le monde, sur nous-même et sur les richesses du savoir humain.
Avec cette précipitation idéologique et politicarde, viendra le jour où l’Algérien perdra le français et ne maîtrisera plus l’anglais ni ses langues nationales l’arabe et le tamazight.
Il faut sauver l’école de l’idéologisation, quelle qu’elle soit!
Face à cette situation scolaire déroutante, comment peut-on sauver le futur des 11 millions d’élèves victimes de ce jeu dangereux orchestré par les idéologues assoiffés du pouvoir. Si l’école est un espace où seul le pouvoir du savoir doit régner, l’éducation est la responsabilité de la famille et des parents.
Si nous, nous n’agissons pas, et avec courage, loin de tout égoïsme politique, de tout populisme pédagogique afin de sauver l’école, nous projetons les générations futures dans la gueule du loup. Le loup de l’idiotie, de la violence et de l’extrémisme.
Quand l’école est en danger, la patrie entière est menacée dans son intelligence, sa raison, son génie et ses rêves créatifs. L’école est sans âme ou presque en proie à une terrible désertification culturelle. Elle vit sans la belle littérature et sans les arts. De ce fait, elle est condamnée à se suicider doucement, à petit feu.
Lorsque l’école tourne le dos aux arts, elle ouvre involontairement ses portes à l’extrémisme, à la culture de la violence et à l’idéologie des ghettos ethniques.
Un pays, qui ferme les portes de son école aux poètes, aux romanciers, aux dramaturges, aux musiciens, aux plasticiens et aux cinéastes, offre ses anges aux diverses maladies sociales, psychologiques et religieuses.
La création artistique et littéraire offre à l’enfant la liberté d’esprit et la liberté d’imagination.
La présence de la littérature et des arts dans l’école ainsi que la présence de créateurs rendent cette institution noble et sensible, capable d’enfanter un citoyen positif, bienveillant à la protection de sa patrie et prêt à l’adhésion et à l’adoption des grandes valeurs humaines.
L’apprentissage alphabétique ou technique ne fait pas de l’élève un citoyen du monde.
Un citoyen libéré de l’analphabétisme abécédaire n’est pas forcément un citoyen libre. Le citoyen positif est celui qui a grandi dans la culture, la littérature, la création et la philosophie.
L’égoïsme des aînés noyés dans la boue de l’idéologie et dans les rivalités politiques fait de l’école une sorte de marché pour blanchir les idées avariées ou corrompues.
La libération de l’école de la bêtise humaine, de l’idéologie fatale et de l’extrémisme aveugle, passe par l’ouverture de ses portes aux belles-lettres et aux arts porteurs des valeurs humaines.
Dans le pays qui respecte le génie de ses enfants, les portes des écoles restent ouvertes aux femmes et aux hommes de lettres et aux artistes.
Avec la présence du romancier ou du poète à l’école, la présence des textes de la belle littérature universelle dans les programmes scolaires, les séances de lecture dirigée, l’enfant apprend à marcher sur les sentiers de la liberté de l’imaginaire fécond.
Que l’école ouvre ses portes aux artistes plasticiens, c’est la réconciliation de l’enfant avec la joie des couleurs. Que des expositions se tiennent à l’école, cela ouvre l’esprit des enfants sur un autre vocabulaire. Qu’il y ait des visites aux galeries d’art, des rencontres avec des plasticiens, c’est l’épanouissement du sens du plaisir du savoir.
Un enfant privé de la création artistique, de la lecture culturelle fructueuse, est une bombe à retardement, prêt à exploser n’importe quand, n’importe où et dans n’importe quel individu ou groupe social.
Lorsque l’école ouvre ses portes aux femmes et hommes de lettres, aux dramaturges et aux cinéastes, l’enfant découvre le pouvoir de la langue, la force du corps et le plaisir des mots, la fascination des formes et la magie des couleurs.
Les arts et les belles-lettres conjugués à la science font de l’école un paradis terrestre et non une punition ou une corvée. Lorsque l’école se transforme en un paradis pour les belles-lettres, les arts universels et les sciences, la culture du fatalisme tombe, la langue de bois s’éclipse, la falaka ou la violence se retire, le monde scolaire se transforme en un espace de beauté, de coexistence, de savoir et de bonheur.
Tout se dessine à l’école!
Amin Zaoui