Après le passage des 100.000 dollars, il y a clairement une bulle sur le bitcoin et sur quelques autres cryptos qui finira par éclater, estime Christian de Boissieu. Mais, sous réserve que la transparence et la sécurité des transactions soient assurées, c’est au marché d’en fixer librement la valeur.
Le prix du bitcoin vole de record en record, touchant des seuils aussi psychologiques qu’économiques. Cela résulte de la conjugaison de nombreux facteurs aujourd’hui convergents : l’élection de Donald Trump, résolument favorable aux cryptos ; l’abondance de liquidités dans le monde ; le succès des ETF en bitcoins ; l’appétit croissant des investisseurs institutionnels ; le recul des taux d’intérêt à court terme ; la croissance favorable des Etats-Unis ; l’appétit pour des valeurs refuges à côté de l’or ; etc.
S’ajoute à tout cela la dimension fortement spéculative des cryptos. Si j’achète aujourd’hui – façon de parler bien sûr ! – du bitcoin même à des prix très élevés, c’est parce que j’anticipe la poursuite de sa hausse et donc une plus-value considérable. Keynes avait visé juste en comparant les marchés financiers à un concours de beauté : l’important sur ces marchés est d’anticiper ce que les autres vont anticiper et faire.
Un marché étroit
La dimension spéculative et donc hautement risquée du bitcoin est renforcée par l’étroitesse de son marché. Aux prix actuels, l’encours des cryptos dans le monde à mi-novembre 2024 était d’environ 3.100 milliards de dollars, dont la moitié pour le seul bitcoin.
Le marché primaire et le marché secondaire (ou d’occasion) demeurent modestes au regard d’autres classes d’actifs, même si les cryptos suscitent une attention dépassant leur poids quantitatif. Sur de tels marchés, peu liquides comme le montrent les marchés d’occasion, il suffit d’un faible écart entre l’offre et la demande pour susciter d’amples mouvements de prix.
Aux niveaux actuels, il y a clairement une bulle sur le bitcoin et sur quelques autres cryptos. En principe, pour parler de bulle sur un actif, encore faut-il identifier sa valeur « fondamentale » (ou d’équilibre), car la bulle décrit un décrochage cumulatif au-dessus de cette valeur. Pour le bitcoin et les autres cryptos, actifs numériques et virtuels, la notion de valeur « fondamentale » est peu identifiable.
Tout cela rappelle l’image utilisée à l’époque et dans un autre contexte par l’économiste britannique Joan Robinson : je ne sais pas définir un éléphant, mais s’il est dans la pièce, je m’en aperçois. Je ne connais pas la valeur d’équilibre du bitcoin, mais aujourd’hui il est sans conteste surévalué.
Parce qu’une bulle finit toujours par éclater, même s’il est très compliqué de prévoir quand et à quel rythme, la bulle bitcoin éclatera elle aussi, comme elle l’a fait dans le passé plusieurs fois, enclenchant un nouveau cycle de fluctuations dans les deux sens.
Des « stable coins » instables
L’engouement pour le bitcoin intervient même si ce n’est pas une vraie monnaie. En effet, il ne dispose pas du cours légal, sauf au Salvador et après des tentatives avortées en République centrafricaine et au Venezuela. Il n’exerce donc que de façon marginale la fonction centrale et spécifique de la monnaie, celle d’intermédiaire entre les échanges.
Par ailleurs, la volatilité de son cours l’empêche en pratique de servir d’unité de compte, sauf pour les « stable coins » ancrés sur le dollar, l’euro… avec un taux de conversion fixe. Des « stables coins » parfois devenus instables, sous l’effet de crises de liquidités des plateformes responsables.
Les cryptos sont d’autant plus volatiles qu’elles représentent l’application totale et instantanée de la loi de l’offre et de la demande : pas de parachute en cas de baisse, pas de banque centrale jouant, en cas de besoin, le rôle de prêteur de dernier ressort…
Friedrich Hayek avait publié en 1976 (« Denationalisation of Money ») une analyse passionnante sur la concurrence entre monnaies privées et sur les déterminants de la « qualité » d’une monnaie, au-delà de sa seule quantité. De là à en déduire qu’il faut, comme il le préconise, se passer de banque centrale agissant comme prêteur de dernier ressort, il y a un saut contestable et contesté…
Une monnaie libertarienne ?
Avec les cryptos, la vision monétaire décentralisée et très libérale devient, chez certains, libertarienne. Quand il soutient à fond les cryptos, Trump est totalement dans cette ligne, d’autant plus qu’il condamne en même temps les monnaies publiques digitales, en l’espèce le dollar numérique en préparation (interrompue à partir de janvier prochain ?) par la Fed, au nom de la protection des données et des libertés individuelles.
Les monnaies officielles digitales comme expression du « Big Brother monétaire », comme menace sur certains fondements de notre société ? Le débat est loin d’être clos.
Vu les montants impliqués, la prochaine crise financière mondiale ne viendra pas de l’explosion de la bulle sur le bitcoin et les autres cryptos. C’est le marché qui doit continuer à fixer librement les valeurs concernées.
Un tel principe est totalement compatible avec les exigences de la protection des épargnants et des investisseurs : transparence de l’information et sécurité des transactions, lutte contre le blanchiment de l’argent et le financement du terrorisme…
Avec le règlement MiCA qui vient compléter d’autres textes, l’Europe, plutôt en avance ici sur les autres continents, s’efforce de trouver un équilibre entre la liberté et la régulation. Un équilibre qui, a priori, ne sera pas le même que celui que Donald Trump a évoqué au cours de sa campagne…
Une démarche réglementaire européenne qui devra être résolument pragmatique, évolutive et à l’écoute des professionnels du secteur.
Pour les pays en développement, la tentation est grande pour sortir du marasme de la dette et retrouver un espoir monétaire, autre que celui du statu quo. Dans ces pays, l’accès aux devises est limitée de facto, par les précarités économiques qui secouent leurs économies.
Ex: Regardez le bitcoin et son taux de change avec le dinar tunisien….
C’est la folie, oui il faut 308 760 DT, pour 1BTC.
Christian de Boissieu, Cercle des économistes.
Source : Economics for Tunisia, E4T, 6 déc., 2024