Je me complaisais dans la béatitude, admiratif de ce peuple uni qui avait chassé le dictateur avec le moins de casse possible. Mon excitation était à son comble. Je respirais à pleins poumons cette bourrasque de libertés qui soufflait si fort à en perdre sa respiration. C’était au mois de janvier 2011 et je renaissais
Je buvais mon café du matin tranquille sur la terrasse de l’Avenue quand mon portable sonnât. On me confiait la tâche d’aller représenter le gouvernement à la 100 ème conférence de l’OIT et sonder à Genève auprès des instances internationales les dernières directives en la matière. Me voilà quelques jours plus tard habillé de mon plus beau costard au Palais des nations à déambuler libre dans des couloirs bondés de représentants de tous les pays de la planète et installé le temps des séances plénières sur le pupitre de mon pays à écouter les interventions ennuyeuses des pays encore sous dictature, discours lissés à flatter leurs politiques et versant dans la langue de bois qui me semblait si bizarre en ce moment bien que mes oreilles en aient été polluées 23 ans durant. Je décidai alors d’agir, ratai la séance matinale du lendemain et m’en allai dans un coin rédiger un discours de dix minutes, protocole exige, qui sortait du fond des tripes, libre et sans consignes aucunes, sur la situation du pays que je me surprenais à aimer et sa révolution dont j’ étais si fier. Lorsque.je pris la parole devant les délégués de 187 pays, je ne pensais pas à la réaction des autres. Mon seul souci était d’essayer de communiquer pour expliquer, sans le dire, que ce qu’avait accompli ce petit peuple minuscule était gigantesque planétairement. Il est vrai que le sujet sur la pauvreté et la justice sociale s’y prêtait. Lorsque je conclus par les remerciements d’usage, je n’avais même pas écouté l’ovation debout de toute la salle. Tout ce dont je me rappelle, c’est l’interruption de la séance pour quelques minutes à cause de l’agitation que j’ai créée à recevoir les félicitations de tous les autres délégués qui se déplaçaient qui pour m’embrasser, qui pour me féliciter, qui pour me dire qu’ils sont émus, qui encore curieux de savoir où en est- on dans ce pays, m’affirmaient qu’ils ont confiance dans l’avenir de ce peuple…. La gorge nouée d’émotion, je quittais cette effervescence de la salle, m’isolais dans un petit coin discret de l’immense hall d’entrée et commençait à chialer comme un môme, probablement envahi par un sentiment bizarre où tout se mêlait : l’émotion, la fierté d’appartenir à ce peuple, l’ivresse de liberté et le brin de narcissisme qui me caractérisait. C’était au mois de juin 2011 et je travaillais.
Me suis réveillé tôt la mine radieuse, enfilai mon jean du dimanche et me rendais au bureau de vote partagé entre la crainte d’une Tunisie qui risquait de s’ « afghaniser » quelques heures plus tard et l’espoir qu’elle puisse s’affranchir et se « finlandiser » dans quelques années. C’était le 23 octobre 2011 et je votais
Je reste des heures prostré , abattu, les yeux hagards avec l’impression que le navire Tunisie est abandonné à son sort. J’ai beau essayer de me dire que tout allait se rétablir et essayait de positiver puis d’oublier. Rien n’y fait. Je ruminais et digérais très mal les évènements qui se précipitaient et les têtes de ces barbus qui me rebutaient. Un pays à l’arrêt, ruiné, paralysé, martyrisé, outragé . Les sonnettes d’alarme de la Banque centrale assourdissaient, la drogue et les armes fleurissaient, les défenestrations de nos filles abondaient, les liquidations physiques de soldats banalisées. Tout un peuple qui se meurt. Et toujours ces croque-morts qui rodent autour comme des charognards à rechercher des carcasses à désosser tandis que des élus ,nos gouvernants tout neufs, tout salauds semblaient ignorer ce qui se passait, s’éternisant à se chamailler sur des postes ministériels, s’exhibant en bombant le torse dans des apparitions juste pour nous répéter toujours et toujours la même rengaine : révolution, dignité, vérité, hawiyyatouna arabya islamya …
Au même endroit où s’embrasait un marchand de légumes avec sa barwita , certains bipèdes tout autant légumes que la marchandise confisquée du zabrat suicidaire font semblant de fêter ce martyr sous les huées d’un peuple affamé qui risque de les lyncher à force de se sentir floué. C’est aujourd’hui 8 ans plus tard et je déprime
Fadhi Ch’ghol