Élu par disqualification forcée des rivaux ?

C’est ce qui est en train de se passer pour les élections présidentielles en Tunisie. On fait tout et d’un bloc, pour que ces présidentielles soient une formalité pour le président sortant Kais Saied, qui sait que son bilan économique a été lamentable, et sous son règne la Tunisie a reculé et s’est appauvrie de manière considérable.

C’est pourquoi que la tension monte à la veille de la campagne présidentielle.

La campagne électorale pour l’élection présidentielle en Tunisie débutera le 14 septembre, mais le climat politique est déjà très tendu. Le président sortant, Kais Saied, qui brigue un second mandat, a déclaré que « les élections ne sont pas une guerre, mais un renouvellement de nomination à des moments précis conformément à la Constitution ».

Cependant, la situation actuelle semble contredire ses propos car le rendez-vous électoral se transforme en conflit de déclarations et de conférences de presse. La polémique a commencé avant même que l’Instance supérieure indépendante pour les élections (ISIE) ne publie la liste définitive des candidats.

Le différend porte sur le dernier mot entre le tribunal administratif, chargé d’examiner les recours des candidats exclus, et l’Isie elle-même. D’un côté, des  dizaines de juristees soutiennent que les peines confirmées en appel devraient garantir la participation des candidats ; de l’autre, il y a ceux qui estiment que c’est à l’ISIE, en tenant compte des indications du pouvoir judiciaire, de déterminer leur éligibilité.

La controverse aurait pu être évitée si une Cour constitutionnelle avait été créée, prévue dans la Constitution tunisienne de 2014, mais jamais créée en raison de divisions politiques. La Charte fondamentale tunisienne de 2014 prévoit que la Cour statue sur la constitutionnalité des lois, des réformes et des traités, et gère les conflits entre les principales institutions de l’État.

Cependant, près de dix ans après sa proclamation, la Cour n’a toujours pas été créée. Par ailleurs, la Constitution attribue d’autres prérogatives à la Cour constitutionnelle, comme celle de prononcer la vacance temporaire ou définitive de la présidence de la République ou de statuer sur les conflits de compétence entre le chef de l’Etat et le premier ministre. Le président élu lui-même devrait prêter serment devant la Cour constitutionnelle s’il était impossible de le faire devant les deux chambres parlementaires réunies.

Farouk Bouaskar, président de l’ISIE, a expliqué lors d’une conférence de presse à Monastir que la principale innovation des élections présidentielles de 2024 par rapport au passé est le changement du cadre constitutionnel et juridique. Le corps électoral fonctionne en effet désormais conformément à la Constitution du 25 juillet 2022, après avoir défini toutes les dispositions nécessaires en matière de financement et d’activités électorales. Au milieu de rumeurs, de critiques et de communiqués de soutien à telle ou telle instance, l’Isie a annoncé lundi que seuls trois candidats étaient jugés aptes: Kais Saied, président sortant qui brigue un second mandat, Zuhair Maghzaoui, ancien parlementaire et secrétaire général du Mouvement panarabe « achaab » , et Ayachi Zammel, ingénieur chimiste et fondateur du mouvement Azimoun. Peu après cette annonce, des rumeurs ont circulé dans les médias tunisiens sur l’ouverture d’une enquête contre Maghzaoui, alors que Zammel a été arrêté mardi matin à l’aube par des agents de la Garde nationale sur la base de onze plaintes présentées par de simples citoyens qu’ils accusent d’avoir ont falsifié leurs signatures, les déposant auprès de l’autorité électorale parmi les 10 mille recommandations populaires requises pour pouvoir se porter candidats.

L’Isie a rejeté d’autres candidatures, notamment celles du groupe islamiste Abdellatif Mekki, de l’ancien ministre de la Santé Mondher Zenaïdi et l’homme politique de centre-gauche Imed Daimi, malgré les condamnations du tribunal administratif ayant annulé l’exclusion de leurs dossiers. Selon l’ISIE, ces condamnations ne prévoyaient pas explicitement l’inscription des candidats sur la liste définitive, mais étaient conditionnées à des contrôles complémentaires. Parallèlement, le président Saied a déclaré que « les élections sont une affaire intérieure, sans ingérence étrangère », critiquant ceux qui reçoivent un soutien extérieur. La lutte contre les financements étrangers a été une constante du premier mandat de Saïed, avec plusieurs arrestations parmi les membres des partis islamistes Ennahda et Al Karama. Par ailleurs, un décret a été publié hier, établissant que le financement des campagnes électorales se fera exclusivement par autofinancement et financement privé.

Pendant ce temps, tandis que dans les rues du pays règne une certaine inquiétude quant à l’évolution possible de la situation, parmi les Tunisiens, il semble y avoir un certain désintérêt, comme si le résultat était déjà joué d’avance.

Avec trois candidats – dont un en prison et un qui pourrait faire l’objet d’une enquête, même si pour l’instant Maghzaoui n’a pas été officiellement traduit en justice par les autorités judiciaires – Saïed pourrait être le seul à mener librement la campagne électorale.

Pour intensifier encore les tensions, l’information est tombée ces dernières heures selon laquelle le journal francophone « Jeune Afrique » a été retiré des kiosques tunisiens. « Quatorze ans après la chute de l’ancien président, notre numéro de septembre n’a pas été autorisé à la vente en Tunisie en raison d’une enquête sur le président Kais Saied, candidat à sa réélection le 6 octobre », peut-on lire dans un éditorial signé par Marwen ben Yahmed, publié en ligne sur le site du mensuel historique consacré à l’Afrique et au Maghreb.

Le numéro 3140, interdit en Tunisie, présente Saied en couverture avec le titre « L’Hyper-Président ». Ben Yahmed propose ce qu’il appelle « une évaluation objective, documentée et précise du mandat et du style de gouvernement de celui qui briguera sa réélection le 6 octobre, dans un scrutin où il n’y a pas de véritable concurrent au départ ».

Même sur cette question, l’opinion publique tunisienne apparaît divisée : d’un côté, ceux qui considèrent que la liberté d’expression est un droit inaliénable ; de l’autre, ceux qui voient dans la stabilité de l’État et la paix sociale des valeurs suprêmes à défendre, considérant certains éditoriaux comme des exemples de « désinformation ».

Source : Presses internationales via Economics for Tunisia, E4T