Ennahdha a échoué de domestiquer la Tunisie à son projet rétrograde

Une bonne partie du peuple tunisien, pour ne pas dire sa majorité, est convaincue que la branche locale de l’Organisation mondiale des Frères musulmans, celle-là même qui tient les rênes du pouvoir depuis le 23 octobre 2011, se soucie du pays et des intérêts du pays comme d’une guigne. L’un de leurs maîtres à penser, Sayyed Qotb, n’a-t-il pas dit que de son pays l’Egypte, cette civilisation multimillénaire, n’est rien d’autre qu’ « une poignée de terre pourrie » ?
Si le parti islamiste de Ghannouchi nourrissait le même attachement, le même amour pour la patrie et la même ardeur à servir ses intérêts que le parti destourien de Bourguiba, nous ne serions pas aujourd’hui dans cette situation de faillite économique, de déliquescence politique et de désarroi social.
Les années 2012 et 2013 resteront dans les annales comme étant les deux années durant lesquelles Ennahdha a tout fait, y compris le terrorisme et les assassinats politiques, pour transformer le peuple tunisien en un troupeau de moutons aux ordres de l’Organisation frériste mondiale. En vain. Ghannouchi et ses lieutenants se sont heurtés à la résistance farouche des hommes et des femmes pour qui l’indépendance et l’authenticité tunisiennes sont non négociables. Pour qui le projet obscurantiste téléguidé de l’étranger n’a pas sa place en Tunisie.
Un minimum de rationalité aurait pu convaincre les dirigeants islamistes que, face à une telle résistance, ils devraient changer leur fusil d’épaule. Ils devraient nager dans le sens du courant et se faire couler dans le moule du peuple tunisien. Ils ne devraient pas ramer à contre courant et s’obstiner à vouloir couler tout un peuple dans le moule de la confrérie islamiste mondiale. Si cela ne s’est pas fait, c’est parce que le chemin de la rationalité et celui du fanatisme religieux ne se croisent jamais.
Incompétence, cupidité, voracité et népotisme
N’ayant pu faire couler le peuple tunisien dans le moule du fanatisme frériste, Ennahdha a coulé le pays. L’incompétence, la cupidité, la voracité et le népotisme des dirigeants islamistes sont bien connus pour qu’on s’attarde ici sur les causes de la déliquescence de l’Etat, de l’appauvrissement généralisé du pays et du grave endommagement de sa machine économique productive.
Comme si les dommages causés par la mauvaise gestion des affaires du pays sur près d’une décennie n’étaient pas suffisants, Covid-19 intervint au moment le plus inopportun et le plus inattendu pour donner le coup de grâce à une économie déjà à genoux.
Que Covid-19 joigne ses efforts à Ennahdha pour malmener encore plus un pays désorienté, un peuple appauvri et une économie chancelante n’a pas l’air de perturber outre mesure les dirigeants islamistes. Ils continuent, comme si de rien n’était, à manifester l’indifférence la plus froide à l’égard des intérêts du peuple tunisien et l’allégeance la plus ardente à l’égard de la Turquie et du Qatar, les deux principaux sponsors de l’islamisme mondial. Comment expliquer autrement leur tentative de faire passer deux projets de lois hautement dommageables pour la Tunisie et excessivement profitables pour le couple turco-qatari ?
Selon des extraits des projets de loi en question, et toutes proportions gardées, les avantages accordés aux Turcs et aux qataris n’ont rien à envier aux avantages que s’attribuaient les puissances coloniales aux dépens des pays qu’elles colonisaient.
Société civiles et minorités actives en état d’alerte
Compte tenu de l’indécence et de l’arrogance qui imprègnent le contenu de ces projets de loi, on peut dire qu’aucun citoyen tunisien, fût-il islamiste, n’ose rédiger de telles dispositions juridiques. Comment dès lors exclure l’idée que les projets de loi étaient rédigés par des plumes turques et qataries et remis à Ennahdha pour validation ?
Ghannouchi, en tant que président du parlement tunisien, a donné la preuve qu’il ne peut refuser les convocations humiliantes d’Erdogan. Qu’il accepte de bon cœur de s’assoir sur un strapontin face à son hôte sur un fauteuil impérial. Qu’il trouve normale l’absence du drapeau national dans une rencontre si officielle. Qu’il soutienne depuis des années les yeux fermés l’aventurisme destructeur du Qatar en Syrie, en Libye et ailleurs etc. etc. Comment dès lors peut-il refuser de mettre le parlement qu’il préside au service des intérêts des deux principaux sponsors de l’Organisation mondiale des Frères musulmans ?
Sauf qu’il y a un petit détail qui a échappé au président turc, à l’Emir du Qatar et à leur ami Ghannouchi. Si la Tunisie n’est pas une véritable démocratie, Ennahdha a heureusement échoué d’en faire une dictature. Sa société civile toujours en état d’alerte et les minorités actives au sein du parlement ont fait avorter la tentative de faire passer des projets de loi dignes des pratiques coloniales les plus abjectes.
Sans doute Ghannouchi et ses lieutenants sont-ils dans l’embarras. Sans doute Erdogan et Tamim sont-ils frustrés de ne pouvoir apprivoiser cette Tunisie si rebelle et si stratégiquement importante pour leurs projets régionaux. Une autre tentative de faire passer les projets de loi coloniaux n’est donc pas à exclure.
Tant que les islamistes sont au pouvoir, la Turquie et le Qatar ne perdront pas l’espoir de faire de la Tunisie un pays docile qui ne rechignerait pas à se faire arrimer à l’axe turco-qatari. Tant que les islamistes sont au pouvoir, la société civile et les forces politiques patriotiques tunisiennes ne doivent jamais se départir de leur vigilance et de leur détermination à défendre les spécificités du pays et ses intérêts.

Hmida Ben Romdhane