La peine de prison de Sonia Dahmani : le silence des États-Unis et de l’Occident sur la crise des droits humains en Tunisie

Le 24 octobre 2024, l’éminente avocate et commentatrice médiatique tunisienne Sonia Dahmani a été condamnée à deux ans de prison pour ses propos publics sur le racisme et le traitement des migrants en Tunisie. Ce verdict, fondé sur le controversé décret présidentiel 54 du président Kaïs Saïed, suscite de graves inquiétudes quant au respect décroissant de la liberté d’expression et des droits humains en Tunisie. Cependant, ce qui est particulièrement frappant, c’est l’absence de condamnation de la part des pays occidentaux, dont les États-Unis, qui se positionnent depuis longtemps comme les défenseurs des principes démocratiques et des droits humains. Le silence de ces puissances témoigne d’une stratégie géopolitique inquiétante qui privilégie la stabilité au détriment de la liberté, exposant davantage la fragilité de la situation des droits humains en Tunisie.

L’emprisonnement de Sonia Dahmani n’est pas un incident isolé mais fait partie d’une répression plus large de la dissidence sous le régime de Saïed. Depuis mai 2023, Dahmani est détenue après avoir été accusée de diffusion de « fausses informations » – une accusation fondée sur le décret 54, qui a été mis en œuvre sous couvert de lutte contre la désinformation mais a été largement utilisé pour réprimer l’opposition politique et les voix critiques. La position audacieuse de Dahmani sur des questions sensibles, notamment le racisme et la situation des migrants en Tunisie, a fait d’elle une cible pour le gouvernement, qui s’est montré intolérant à tout discours remettant en cause son autorité.

Le décret lui-même, promulgué en 2022, a été utilisé pour arrêter de nombreux journalistes, avocats et personnalités de l’opposition, signalant ce qu’Amnesty International a qualifié de « recul drastique » en matière de droits humains. Dahmani, connue pour son style franc, s’était exprimée ouvertement sur le traitement raciste des migrants d’Afrique subsaharienne en Tunisie, un sujet qui est devenu de plus en plus tabou sous la présidence de Saïed. Son arrestation par des policiers masqués au siège du barreau tunisien en mai, en direct à la télévision, était un spectacle public visant à intimider les autres critiques.

Sa condamnation en octobre n’est qu’une des cinq affaires contre elle, ce qui illustre une fois de plus le ciblage systématique des dissidents par le régime de Saïed. Malgré l’attaque claire contre la liberté d’expression, les réponses internationales – en particulier de la part des États-Unis et du bloc occidental au sens large – ont été visiblement atténuées.

L’absence d’opposition vocale des gouvernements occidentaux, en particulier des États-Unis, en réponse à la condamnation de Dahmani est troublante mais pas inattendue. Historiquement, les puissances occidentales ont soutenu la Tunisie, la considérant comme une rare réussite démocratique après le Printemps arabe. Cependant, depuis la prise de pouvoir controversée de Saïed en 2021, l’érosion des institutions démocratiques s’est accélérée. Si l’Occident a parfois exprimé son inquiétude quant à la trajectoire de la Tunisie, ces déclarations ont été largement symboliques, et peu de mesures concrètes ont été prises pour faire pression sur le gouvernement de Saïed afin qu’il respecte les droits de l’homme.

L’une des raisons de cette passivité est l’accent mis en priorité par l’Occident sur la stabilité régionale et le contrôle des migrations. La Tunisie, stratégiquement située sur la Méditerranée, joue un rôle essentiel pour endiguer le flux de migrants d’Afrique vers l’Europe. L’Union européenne, en particulier, a montré sa volonté de donner la priorité à la coopération de la Tunisie dans le contrôle des migrations plutôt qu’à sa santé démocratique interne. Pour les États-Unis, le rôle de la Tunisie dans les efforts de lutte contre le terrorisme et sa position géopolitique en Afrique du Nord sont des considérations clés qui semblent prendre le pas sur les préoccupations relatives aux droits de l’homme.

Ce calcul géopolitique conduit à une approbation tacite des actions du régime de Saïed, tant que la Tunisie reste un allié stratégique. Cependant, cette approche à courte vue risque de saper les valeurs mêmes que l’Occident prétend défendre. En ne tenant pas la Tunisie responsable, les pays occidentaux favorisent l’autoritarisme du gouvernement de Saïed, contribuant à la suppression croissante de la liberté d’expression, de l’indépendance judiciaire et des libertés civiles.

Le cas de Sonia Dahmani est emblématique d’une crise plus large des droits de l’homme qui se déroule en Tunisie. Sous le règne de Saïed, la Tunisie a connu un net déclin des libertés autrefois garanties par sa constitution post-révolutionnaire. La société civile, autrefois dynamique, est assiégée, les journalistes, les avocats et les militants étant confrontés à des persécutions. Le système judiciaire a également été compromis, le régime l’utilisant comme un outil pour faire taire l’opposition.

Les organisations internationales comme Amnesty International ont dénoncé ces abus, mais sans le soutien ferme des nations puissantes, leur influence reste limitée. L’absence de pression internationale coordonnée permet au régime de Saïed d’agir en toute impunité, en arrêtant les critiques sous des chefs d’accusation vagues et en imposant des peines sévères pour dissuader la dissidence.

En outre, la position du gouvernement sur le racisme et la migration reflète des problèmes sociétaux plus vastes, exacerbés par la crise économique tunisienne. Alors que les migrants, en particulier ceux originaires d’Afrique subsaharienne, font face à une hostilité croissante, des personnalités comme Dahmani qui dénoncent cette discrimination sont vilipendées et punies. Le refus du gouvernement de s’attaquer à ces violations des droits humains est un obstacle majeur à la réalisation de ces objectifs.

Source :Amine Ayoub , linkedin.com, traduction Google