Le Tchad, dernier pays sahélien à abriter des forces françaises, a annoncé jeudi 28 novembre « mettre fin à l’accord de coopération en matière de défense signé avec » Paris « révisé en date du 5 septembre 2019 ». Une annonce surprise, survenue quelques heures après une visite dans le pays du chef de la diplomatie française, Jean-Noël Barrot.
La France « prend acte » de la dénonciation de l’accord de défense par le Tchad, mais « entend poursuivre le dialogue » avec Ndjamena, a indiqué ce vendredi soir le porte-parole du ministère des Affaires étrangères. « La France a entamé depuis près de deux ans une réflexion et un dialogue avec ses partenaires sur la reconfiguration de ses dispositifs militaires en Afrique », a rappelé à l’AFP le porte-parole du ministère français des Affaires étrangères. « Dans ce cadre, un dialogue étroit est mené avec les autorités tchadiennes, qui ont fait part de leur souhait de voir évoluer le partenariat de sécurité et défense », a-t-il ajouté
En France, la rupture annoncée jeudi soir a pourtant pris tout le monde de court. « On est tombé de l’armoire », soufflent de hauts gradés en poste à Paris. Car le ministre français des Affaires étrangères, présent la veille au Tchad, n’a pas été informé de vive voix de ce revirement, souligne Franck Alexandre, journaliste du service économie de RFI. La décision a été publiée sur le site tchadien des Affaires étrangères seulement une fois qu’il était dans l’avion.
Le président Emmanuel Macron non plus n’a pas été appelé par Mahamat Idriss Déby. Il n’est pas exclu que ce dernier se soit fait forcer la main. En tout cas, précise un observateur de haut rang, « la décision a surpris tout le monde, y compris le premier cercle de Déby. » Par conséquent, le flou prédomine.
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En ébullition
« Il règne une certaine fébrilité dans les cabinets parisiens », disent pudiquement plusieurs officiers. La présidence, la primature, l’état-major des armées et les services de renseignements, étaient en réalité ce vendredi matin en ébullition, avec une réunion de crise, un conseil de défense organisé en urgence à l’Élysée pour comprendre d’où est parti le coup. Le chef de la diplomatie française, lui, est désormais en Éthiopie.
Il n’y a eu aucun commentaire, la veille, à l’issue de la rencontre entre le président tchadien Mahamat Idriss Déby et Jean-Noël Barrot. Rien dans l’attitude de la délégation française ne laissait présager qu’une annonce aussi forte allait être faite par Ndjamena. En revanche, ce matin, tout le monde dans l’entourage du ministre semble pris de court.
À noter toutefois qu’hier, après cette rencontre entre le chef de l’État tchadien et le ministre français, il y a eu une déclaration commune des deux ministres des Affaires étrangères. Jean-Noël Barrot n’a pas évoqué le sujet. En revanche, son homologue, Abderaman Koulamallah, a indiqué que la France est un partenaire essentiel, mais il a ajouté que la France doit considérer que le Tchad a grandi, a mûri, et est un État souverain, très jaloux de sa souveraineté. Une phrase qui, après coup, prend toute sa dimension.
L’histoire nous donne raison sur le fait que, dans le Sahel, l’attitude de la France allait être son tombeau. La France aurait pu éviter l’humiliation, de ne pas donner l’impression d’être une sorte d’armée sans domicile fixe qui chassée du Mali, va au Burkina Faso, chassée du Burkina, déménage au Niger, chassée du Niger, va au Tchad et maintenant [chassée, NDLR] du Tchad, sans en tirer les leçons. Au Tchad, la France et son armée ont soutenu des régimes souvent impopulaires, minoritaires, brutaux, en fermant les yeux pour couvrir des fausses élections ou mâter des rébellions. […] Les Tchadiens se demandent maintenant quel est l’intérêt particulier sur lequel ils ne se sont pas entendus ? Où se cache la vérité ? (Sur d’éventuels autres partenaires militaires pour le Tchad) Il n’y a pas de mauvais partenaires, il n’y a que des mauvais partenariats. Les nouvelles générations que nous incarnons veulent des partenariats nouveaux avec des anciens partenaires ou avec des nouveaux partenaires, en s’ouvrant au monde entier.
« À quoi sert le millier de soldats français ? »
Dans la capitale tchadienne, cette décision est en tout cas vue comme « le signe que les hautes autorités du pays ont entendu le peuple et sa volonté ». La grande majorité des Ndjamenois que notre correspondante Nadia Ben Mahfoudh a pu croiser ce vendredi matin sont très heureux d’apprendre la nouvelle. Beaucoup saluent cette décision : « On va enfin s’affranchir de la France. »
D’autres expliquent qu’ils attendent depuis longtemps le départ des forces militaires françaises de leur territoire. Surtout, ils se disent déçus de ne pas avoir vu les militaires français soutenir leur armée dans leurs combats contre Boko Haram dans la région du Lac Tchad il y a quelques semaines. « À quoi sert le millier de soldats français s’ils ne nous soutiennent pas lorsqu’on en a besoin ? », s’interroge l’un d’entre eux. Un étudiant en histoire militaire de défense et de sécurité dit aussi : « Le Tchad est un pays indépendant et libre de choisir de nouer des relations avec les pays de son choix. »
C’est donc le rapprochement avec la Russie qui plane dans les esprits. Néanmoins, quelques voix se disent inquiètes de la fin de ces accords et ont peur de voir la présence française remplacée justement par une présence russe. Mais ces voix étaient rares dans la capitale.
La présence des troupes étrangères dans un pays souverain me semble être anachronique. Cette décision est bonne, elle est salutaire. Mais lorsque nous disons que la coopération continue, c’est justement pour qu’il n’y ait pas une idée de rupture entre la France et le Tchad qui ont des liens séculaires et une coopération qui se poursuivra […] dans d’autres domaines. Je vais vous donner un exemple pour vous montrer la faiblesse de la coopération avec la France : lorsque nos troupes ont eu à affronter Boko Haram dans le lac Tchad, il y a un peu plus d’un mois, on n’avait pas d’informations. Si la coopération fonctionne bien, l’armée française, qui en a les capacités, aurait pu nous informer sur la présence des gens de Boko Haram ici où là dans le lac Tchad. (Sur un éventuel remplacement des militaires français par des militaires d’autres pays) Moi, je ne pense pas qu’on a renvoyé les Français pour faire la place à d’autres puissances. Les pays africains sont souverains. On ne fait donc pas, dans le même temps, appel à une autre puissance.