Le temps passe.
Faisant défiler les jours, les semaines et les mois, il fait son œuvre, inexorable, indifférent au tumulte de la vie où les petites misères cherchent continuellement à se parer de bonne conscience alors que le mal absolu auquel Abir Moussi fait face devient d’autant plus menaçant dans son expression réelle, physique, qu’il confine à l’abstrait. Il n’y a pas de degrés dans l’absurdité telle qu’en l’occurrence celle d’avoir à répondre d’un crime imaginaire. Ce qui en tient lieu est l’habitude que l’on y prend d’une certaine manière, même si l’entendement continue à s’y refuser, jusqu’à lui faire place dans l’ordre extérieur des choses. Elle s’y installe alors et s’en accommode par le seul fait du temps.
Le cours suivi par l’affaire dite du bureau d’ordre, sans nul fondement délictuel au sens de l’article 72 du code pénal, promet la Prisonnière de Mannouba à la mort comme une chose jurée en attendant d’être jugée. Indiscutablement, la procédure suivie en deux temps par l’action publique montre bien l’obéissance de tout cela à une volonté qui veille inlassablement et y tient mordicus, anonyme, impersonnelle au point de se fondre en une sorte de fatalité, mue en toute autonomie par un système où interagissent des institutions, des lois, des règlements, des idées des concepts et des mots qui ont des sens précis et d’où toute sensibilité humaine est exclue. La question reste alors posée de savoir comment expliquer que l’âme remuée au nom de cette sensibilité dont nul n’est a priori dénué ne se soit pas déclarée en réaction à la survenance d’événements tenus pour constitutifs d’un attentat ayant pour but de modifier la forme de gouvernement de l’état et de semer le désordre dans le pays ainsi qu’il est dit à l’article précité. Tout porte à croire qu’un souci de déresponsabilisation à prévalu, rimant pertinemment avec la dépersonnalisation inhérente au rôle essentiellement technique de l’appareil judiciaire.
D’ailleurs, en soutenant que le sort de la Tunisie est lié à celui de Abir Moussi, je ne crois pas exprimer une conviction personnelle moins probante que celle ayant conduit à voir dans sa demande d’accès au bureau d’ordre de la Présidence de la République, un certain 3 octobre pour y déposer du courrier, une atteinte à la sécurité intérieure de l’état tunisien. Au lieu de prendre ce mauvais chemin, le déroulement des événements eût certainement été plus judicieux si, par application loisible de l’article 2 du décret N° 90/1195 du 6 juillet 1990 relatif au Conseil National de Sécurité, l’avis de cette honorable instance sur une question relevant éminemment de ses compétences avait fait l’objet d’une consultation.
Qui pouvait vouloir tout ce mal à Abir Moussi et, du même coup, à la Tunisie? Pourquoi ?
Celui qui détient la réponse doit savoir que le temps dont il a été souvent question dans cet appel à la raison, avant qu’il ne soit trop tard, n’efface rien.
Abdessalem Larif