Depuis début janvier, les propos haineux de six influenceurs algériens ont été signalés aux autorités françaises. Alger a refusé que l’un d’entre eux soit renvoyé sur son sol, ce qui a encore détérioré les relations entre les deux pays.
« On voit bien que l’Algérie cherche à humilier la France« , s’est agacé le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, vendredi 10 janvier, après le renvoi controversé en France de l’influenceur algérien Doualemn. Malgré un passeport biométrique valide, l’Algérie a refusé l’entrée de l’individu sur son territoire deux jours plus tôt, suscitant l’indignation de Paris. « On a atteint avec l’Algérie un seuil extrêmement inquiétant », a martelé Bruno Retailleau. « On est dans un contexte de tension maximale, c’est du jamais-vu », a de son côté estimé l’historien Pierre Vermeren, professeur à l’université Panthéon-Sorbonne, spécialiste du Maghreb.
Après le rapprochement franco-marocain et l’arrestation d’un écrivain franco-algérien à Alger, cette nouvelle affaire illustre la détérioration des relations entre les deux pays, marquées ces derniers mois par une série de contentieux qui freinent la stratégie de réconciliation mémorielle initiée par Emmanuel Macron en 2022. Franceinfo fait le point sur la crise franco-algérienne.
Des tensions autour d’influenceurs
Le 4 janvier, un influenceur algérien est interpellé à Montpellier et placé en centre de rétention administrative (CRA) à Nîmes. L’homme de 59 ans, surnommé « Doualemn » sur TikTok, est accusé d’avoir publié une vidéo dans laquelle il appelait à « donner une sévère correction à un homme semblant résider en Algérie », selon le parquet de Montpellier. Il est expulsé vers son pays d’origine cinq jours plus tard, avant d’être renvoyé en France le soir même. Cette décision fait suite au refus d’Alger de l’accueillir sur son territoire, d’après le ministère de l’Intérieur.
« Je pense que la France ne peut pas supporter cette situation. »
Bruno Retailleau, ministre de l’Intérieur lors d’un déplacement à Nantes
A Brest, Youcef A., alias « Zazou Youcef », est aussi interpellé le 3 janvier. Il est accusé d' »apologie publique d’un acte de terrorisme commise au moyen d’un service de communication au public en ligne », après avoir appelé ses abonnés à commettre des attentats en France afin de toucher les opposants au régime algérien. A Echirolles, dans la banlieue de Grenoble, un ancien militaire algérien, connu sous le nom d’Imad Tintin, est arrêté le même jour « pour menaces de mort matérialisées par écrit, image ou autre objet commises en raison de la race, l’ethnie, la nation ou la religion« , selon le procureur Eric Vaillant. A Lyon, trois autres influenceurs ont également été signalés. Parmi eux, Sofia Benlemmane, ancienne opposante au régime algérien qui affiche désormais un soutien au pouvoir en place, a été placée en garde à vue le 9 janvier.
Selon plusieurs opposants algériens résidant en France interrogés par l’AFP, ces messages particulièrement violents se sont intensifiés après le changement de doctrine de la France sur le Sahara occidental. Une théorie confirmée par Chawki Benzehra, un activiste accusant l’Algérie de déstabilisation en France, interrogé par Le Monde, selon qui ces influenceurs agissent sous la direction d’acteurs proches du gouvernement algérien, tels que Mehdi Ghezzar, homme d’affaires et allié du président Abdelmadjid Tebboune.
Le Sahara occidental en toile de fond
C’est bien l’élément déclencheur de la crise actuelle : une lettre rendue publique par le palais royal marocain le 30 juillet 2024 dans laquelle Emmanuel Macron acte la reconnaissance par la France de la « souveraineté marocaine » sur le Sahara occidental. Ce territoire désertique, sujet de nombreuses tensions depuis des décennies, est contrôlé à 80% par le Maroc, tandis que le Front Polisario, appuyé par l’Algérie, milite pour son indépendance. La France considère désormais le plan marocain d’autonomie sous sa souveraineté comme « la seule base » permettant de résoudre le conflit.
Ce geste, salué comme une victoire diplomatique majeure par Rabat, est au contraire perçu comme une trahison historique par Alger. En conséquence, l’Algérie a rappelé son ambassadeur à Paris et dénoncé le bafouement « de la légalité internationale » contre le peuple sahraoui. Alger avait pourtant averti à plusieurs reprises que toute reconnaissance de la « marocanité » du Sahara occidental serait inacceptable, remarque Le Monde
Si en juillet 2024, la France restait déterminée « à poursuivre l’approfondissement de sa relation bilatérale avec l’Algérie », selon une source diplomatique auprès de franceinfo, la visite d’Emmanuel Macron au Maroc trois mois plus tard, lors de laquelle le président français s’est à nouveau dit favorable au plan marocain pour le Sahara occidental, a relancé les rancœurs algériennes, d’après le média d’opposition Le Matin d’Algérie(Nouvelle fenêtre). De son côté, Jean-Noël Barrot, le chef de la diplomatie française, a assuré en début d’année sur RTL(Nouvelle fenêtre) vouloir « entretenir les meilleures relations avec l’Algérie ».
Une brouille due aussi à Boualem Sansal
Après l’arrestation de l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal à l’aéroport d’Alger mi-novembre, Emmanuel Macron s’en est pris à « l’honneur » de l’Algérie. « L’Algérie que nous aimons tant et avec laquelle nous partageons tant d’enfants et tant d’histoires entre dans une histoire qui la déshonore, à empêcher un homme gravement malade de se soigner », a déclaré le chef de l’Etat devant les ambassadeurs réunis à l’Elysée.
« Ce n’est pas à la hauteur de ce qu’elle est. » Emmanuel Macron, président de la République , le 6 janvier 2025
Emmanuel Macron a également dénoncé une détention « totalement arbitraire » de l’écrivain alors que Boualem Sansal a été transféré dans une unité de soins depuis mi-décembre. Jusqu’alors, il s’était seulement exprimé par l’intermédiaire de son entourage, disant sa « préoccupation » pour le sort de l’écrivain de 75 ans.
Le ministère des Affaires étrangères algérien a « rejeté et condamné » ces déclarations dans un communiqué publié le 7 janvier. Le gouvernement affirme ainsi « avoir pris connaissance, avec beaucoup d’étonnement, des propos du président français concernant l’Algérie qui [le] déshonorent » et a dénoncé une « immixtion éhontée et inacceptable » de Paris « dans une affaire interne algérienne« . De son côté, le bureau du Parlement algérien a qualifié les propos d’Emmanuel Macron d' »irresponsables« , rapporte l’agence de presse turque Anadolu Agency .
La presse algérienne s’est quant à elle enflammée. Le journal L’Expression a notamment accusé la France de replonger dans « ses vieux démons » tandis que le quotidien officiel El Moudjahid a dénoncé le « déshonneur » de l’héritage colonial français. Le 30 décembre, le chef de l’Etat algérien, Abdelmadjid Tebboune, avait également durci son discours en qualifiant Boualem Sansal d' »imposteur« . Sa détention pour atteintes à la sûreté de l’Etat faisait notamment suite à des déclarations controversées sur un média français d’extrême droite, où il soutenait les revendications marocaines sur l’ouest algérien.