Netanyahu prêt à tout pour s’extirper du scandale du Qatargate

Si Benjamin Netanyahu veut faire tomber la procureure générale Gali Baharav-Miar après avoir décidé de limoger Ronen Bar, le patron du Shin Bet, c’est en grande partie parce qu’ils veulent tous les deux mener une enquête sur le Qatargate. Un scandale qui ébranle le pouvoir du Premier ministre israélien et implique certains de ses plus proches conseillers.

C’est une foule particulièrement remontée et prête à se faire entendre qui s’est rassemblée dimanche 23 mars à Jérusalem, autour de la Knesset – le siège du Parlement israélien – et du domicile du Premier ministre Benjamin Netanyahu.

Le face-à-face était tendu entre les forces de l’ordre et les milliers de manifestants mobilisés dans la capitale israélienne. Ceux-ci entendaient dénoncer les récentes décisions du gouvernement, accusé de transformer le pays « en un autre régime qui ne serait plus la démocratie libérale que nous connaissons. Un régime sans règle de droit et sans vraie liberté », a regretté Ayala Procaccia, ancienne juge à la Cour suprême, présente lors des manifestations.

L’ombre du Qatargate

Pendant ce temps, le gouvernement adoptait une nouvelle mesure susceptible de nourrir l’ire des opposants à Benjamin Netanyahu. Il a voté une motion de défiance contre la procureure générale, Gali Baharav-Miara, première étape pour tenter de la limoger.

L’offensive gouvernementale contre cette magistrate était attendue, souligne le quotidien de centre gauche Haaretz. Gali Baharav-Miara est dans le collimateur de Benjamin Netanyahu au même titre que Ronen Bar, le patron du service de sécurité intérieure Shin Bet, également visé par une procédure de limogeage.

Officiellement, le gouvernement assure avoir « perdu confiance » dans ces deux personnalités de premier plan de l’appareil d’État à un moment critique pour Israël, engagé dans sa guerre contre le Hamas à Gaza.

Mais pour les opposants au gouvernement, Ronen Bar et Gali Baharav-Miara représentent deux des derniers contre-pouvoirs à un Benjamin Netanyahu accusé de dérive autoritaire de plus en plus prononcée. Deux personnalités qui apparaissent surtout décidées à faire la lumière sur un scandale qui embarrasse au plus haut point Benjamin Netanyahu et se trouve au centre de la crise politique israélienne actuelle : le Qatargate.

Trois proches conseillers de Netanyahu payés par le Qatar ?

Cette affaire a éclaté en février avec une succession de révélations concernant d’éventuels liens financiers entre des collaborateurs de Benjamin Netanyahu et le Qatar. Trois proches du Premier ministre, dont deux qui lui ont servi de porte-parole (Jonatan Urich et Eli Feldstein), sont accusés d’avoir reçu de l’argent du Qatar pour « améliorer l’image » de l’émirat.

Ils auraient accepté d’effectuer cette opération de com alors même qu’ils occupaient des postes de premier plan au sein de l’administration israélienne.

Le scandale ne fait que prendre de l’ampleur depuis les premières révélations il y a à peine un mois. Le journal Haaretz a ainsi dévoilé, dimanche 23 mars, les dessous des efforts de ces communicants pour organiser des campagnes d’influence sur les réseaux sociaux en faveur du Qatar.

La procureure générale Gali Baharav-Miara a, pour sa part, ordonné fin février l’ouverture d’une enquête criminelle concernant les liens présumés entre ces conseillers du Premier ministre et le Qatar. L’investigation est toujours en cours et la police « doit intensifier ses efforts » pour en savoir plus sur les charges de corruption et de collusion avec une puissance étrangère, indique le Jerusalem Post.

Ce scandale « est en apparence une de ces affaires aux ramifications labyrinthiques comme il y en a eu d’autres à viser Benjamin Netanyahu », note John Strawson, spécialiste du droit international et du Moyen-Orient à l’University of East London.

Le Premier ministre israélien traîne plus d’une casserole judiciaire depuis près d’une décennie, dont des accusations de pots-de-vin dans un mégacontrat d’achat de sous-marins à l’Allemagne et des soupçons de corruption impliquant un producteur de films hollywoodiens et un milliardaire australien.

Mais le « Qatargate » dispose de tous les éléments pour être politiquement particulièrement explosif pour Benjamin Netanyahu. « Objectivement, dans n’importe quel pays démocratique, les accusations devraient pousser le Premier ministre à démissionner », estime Karolina Zielinska, chercheuse spécialiste d’Israël à l’université de la Vistule à Varsovie.

Le scandale « est d’autant plus sérieux que les conseillers du Premier ministre sont accusés d’avoir été payés par un État – le Qatar – qui alimente une propagande incendiaire contre Israël », insiste Karolina Zielinska. Des « hommes d’affaires qataris » sont notamment accusés d’avoir payé directement le salaire d’Eli Feldstein pendant une durée indéterminée en 2024, alors même que celui-ci servait de porte-parole pour les affaires militaires du Premier ministre en pleine guerre à Gaza.

Scandale judiciaire et politique

Pour l’heure, l’enquête ne s’intéresse qu’aux conseillers de Benjamin Netanyahu mais « l’une des questions cruciales serait de savoir si le Premier ministre était au courant », note Karolina Zielinska. Même s’il n’est pas directement mis en cause, ce scandale pose la question de savoir à quel point une puissance étrangère a pu utiliser ces relais pour influencer les décisions du gouvernement.

Le Premier ministre israélien veut d’autant plus voir ce scandale disparaître qu’il « n’y a pas un seul mais deux Qatargate », affirme Haaretz. Il y a un volet judiciaire qui concerne plusieurs de ses proches conseillers, et une dimension politique. Entre environ 2018 et 2021, « Benjamin Netanyahu a mis en place une politique permettant au Qatar d’apporter un soutien financier au Hamas [en difficulté financière, NDLR], en tant qu’autorité gérant la bande de Gaza. C’était perçu à l’époque comme un moyen de maintenir la rivalité entre le Hamas et l’Autorité palestinienne », explique John Strawson.

Mais une partie de cet argent aurait servi à renforcer le bras armé du Hamas, souligne CNN. Après les attaques terroristes sur le sol israélien du 7-Octobre, « cette politique promue par Benjamin Netanyahu est apparue comme ayant pu faciliter la tâche à ceux qui ont commis les atrocités ce jour-là », souligne John Strawson.

C’est, d’après cet expert, l’une des raisons pour lesquelles le Premier ministre israélien ne veut pas d’une commission d’enquête sur les attaques du 7-Octobre. Avec le scandale du Qatargate, cette question risque de revenir sur le devant de la scène.

D’où l’intérêt pour Benjamin Netanyahu de remplacer le patron du Shin Bet et la procureure générale, d’après les experts interrogés par France 24. En attendant, le Premier ministre déploie une rhétorique très trumpienne pour minimiser le risque posé par le Qatargate. « Il présente ça comme un combat contre des institutions gangrenées par l’État profond qui veulent le faire tomber. Et dans le contexte actuel de polarisation du débat politique en Israël, son électorat pourra tout à fait juger que cette bataille est légitime », estime Karolina Zielinska.

La mobilisation de l’opposition et les manifestations pourront-elles contrer son agenda ? John Strawson est dubitatif : « Cela reste à voir. En revanche, il est évident dans ces conditions que Benjamin Netanyahu doit éviter à tout prix des élections anticipée très incertaines, quitte à faire durer une guerre à Gaza très meurtrière et qui met en danger la vie des otages encore entre les mains du Hamas. »

Avec agences