Présidentielle en Tunisie : le magazine «Jeune Afrique» interdit à la vente

Triste retour aux années Ben Ali ? Quatorze ans après la chute de l’ancien président, notre mensuel daté de septembre n’a pas été autorisé à la vente en Tunisie. En cause : une enquête consacrée au président Kaïs Saïed, candidat à sa réélection le 6 octobre.

Démocratie? Mais quelle démocratie et quel démocrates? Si les Tunisiens et les Tunisiennes lisent l’article d’enquête de Jeune Afrique, au sujet des manipulations des élections présidentielles, beaucoup seront choqués, ébranlés et même réveltés.

Bonjour la démocratie

A un mois du scrutin présidentiel, l’hebdomadaire français n’a pas été autorisé à la vente par les autorités. En cause, selon la rédaction en chef : une longue enquête et une couverture consacrées au président Kaïs Saïed, accusé de dérive autoritaire.

L’affaire rappelle les années sombres de la période Ben Ali. A un mois du scrutin présidentiel en Tunisie, le magazine panafricain Jeune Afrique,dont la rédaction est basée à Paris, n’a pas été autorisé à être vendu dans le pays, a annoncé mercredi 4 ;septembre le directeur de la publication de l’hebdomadaire, Marwane Ben Yahmed.

En cause, selon lui ;: une longue enquête consacrée au président Kaïs Saïed , accusé par ses détracteurs de dérive autoritaire et de répression contre les voix dissidentes du pays à l’approche de la présidentielle du 6 ;octobre. La rédaction en chef du journal a été prévenue par les distributeurs, alors que la douane venait de saisir les exemplaires de Jeune Afrique envoyés par avion en Tunisie. Aucune explication officielle n’a été donnée.
Hyper-président

Le titre de la couverture de ce numéro 3 140, sur lequel apparaît le portrait du chef de l’Etat devant le drapeau tunisien, s’intitule «L’hyper-président».

A l’intérieur, plusieurs articles sur le musellement des contre-pouvoirs et l’autoritarisme populiste de Kaïs Saïed. «Il s’agit pourtant d’un bilan objectif, documenté et précis de son mandat, mais aussi de son mode de gouvernance, lui qui briguera sa propre succession, au cours d’une élection présidentielle jouée d’avance, car sans véritable concurrent sur la ligne de départ», rétorque Marwane Ben Yahmed dans un article publié sur le site internet de «Jeune Afrique».

Pour le magazine, fondé en ;1960 par le Franco-Tunisien Béchir Ben Yahmed, une telle décision n’avait pas été prise depuis ;2011, date de la révolution tunisienne qui avait conduit à la chute du dictateur Ben Ali après vingt-trois années au pouvoir.

Un «triste retour» à cette période sombre, lors de laquelle le magazine était censuré par les autorités tunisiennes à chaque article qu’il déplaisait au palais de Carthage.

Un candidat à la présidentielle placé en détention

L’interdiction de vente du magazine est une étape supplémentaire dans la répression féroce qui s’abat sur les voix critiques en Tunisie à l’approche de la présidentielle, que les observateurs estiment «jouée d’avance». Selon l’ONG Human Rights Watch, au moins huit candidats potentiels au scrutin ont été poursuivis, condamnés ou emprisonnés par les autorités depuis le 14 ;juillet.

Mercredi, l’un des deux adversaires au président sortant, Ayachi Zammel, a été placé en détention provisoire dans le cadre d’une enquête pour des soupçons de «falsification de parrainages».

Au total, seuls trois candidats, dont Kaïs Saïed, ont été retenus dans une liste définitive dévoilée par l’autorité électorale (Isie). Le tribunal administratif avait pourtant annoncé plus tôt le retour dans la course à la magistrature suprême de trois autres personnalités politiques, considérées comme de sérieux rivaux au président sortant. La décision de l’Isie a été qualifiée mardi par la centrale syndicale UGTT d’ «illégale», représentant «une violation dangereuse de la loi», «l’application d’une décision politique» et «une orientation partiale qui aura une influence préalable sur les résultats» du scrutin.

Source : Libération par Léa Masseguin, 5 septembre 2024