Dans un échange exclusif avec RFI publié mardi, Saïf al-Islam Kadhafi, fils de Mouammar Kadhafi, réitère ses accusations sur un financement libyen de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy en 2007. Il affirme que l’ancien chef de l’État français a exercé sur lui, au travers d’intermédiaires et à plusieurs reprises, des pressions afin qu’il change son témoignage devant la justice.
C’est une prise de parole extrêmement rare. Saïf al-Islam Kadhafi, le deuxième fils de l’ancien guide libyen Mouammar Kadhafi, a accepté de s’exprimer auprès de RFI. Cet échange, publié mardi 21 janvier, s’est fait par écrit en arabe, par l’intermédiaire d’une personne de son entourage.
Visé par un mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale (CPI) pour des « crimes de guerre » commis lors du soulèvement de 2011 et de la guerre qui s’en est suivie, Saïf al-Islam Kadhafi s’était déjà confié au New York Times en 2021. Cependant, c’est la première fois depuis quatorze ans qu’il accepte de donner à un média sa version sur l’affaire du financement libyen présumé de la campagne de Nicolas Sarkozy.
Dans cet échange, Saïf al-Islam Kadhafi réitère ses accusations contre l’ancien président français Nicolas Sarkozy, affirmant que ce dernier aurait, à plusieurs reprises et par le biais d’intermédiaires, tenté de le convaincre de modifier ses déclarations devant la justice. S’il assure avoir « catégoriquement refusé » toutes ces sollicitations, RFI n’a pas pu vérifier de manière indépendante ses déclarations. L’ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel mentionne cependant plusieurs cas de pressions exercées sur des témoins dans cette affaire.
« Nier tout ce qui se dit »
Selon lui, la première tentative remonte à 2021 et a été formulée par Souha al-Bedri, consultante et communicante basée à Paris. Cette dernière lui aurait demandé de « nier tout ce qui se dit d’un soutien libyen de Sarkozy pour les élections », en échange d’une aide visant à faire avancer son dossier devant la CPI.
Il affirme ensuite qu’un nouvel émissaire de Nicolas Sarkozy a approché sa famille fin 2022, ciblant cette fois son jeune frère Hannibal Kadhafi, détenu depuis 2015 au Liban. Noël Dubus – mentionné non seulement dans ce dossier, mais également dans l’affaire Karachi – se serait rendu à Beyrouth pour exercer des pressions sur son frère, « lui assurant sa libération si Saïf al-Islam Kadhafi changeait son témoignage en faveur de Sarkozy ».
Le fils de Mouammar Kadhafi assure qu’une troisième tentative a été menée à une date non précisée, cette fois par un Français d’origine arabe dont il n’a pas souhaité révéler l’identité. Il ne s’agit ni d’Alexandre Djouhri ni de Ziad Takieddine, les deux principaux intermédiaires impliqués dans l’affaire, tous deux prévenus dans ce dossier, précise-t-il.
Auprès de RFI, Me Christophe Ingrain, l’avocat de Nicolas Sarkozy, a qualifié les déclarations de Saïf al-Islam Kadhafi de « non seulement fantaisistes, mais également très opportunistes », soulignant qu’elles interviennent alors que le procès est en cours à Paris. De son côté, Souha al-Bedri dément avoir transmis « ce genre de message » à Saïf al-Islam Kadhafi en 2021. En revanche, Hannibal Kadhafi, par l’intermédiaire de son avocat, confirme les propos de son frère concernant une proposition de Noël Dubus en 2022.
5 millions de dollars en espèces
Par ailleurs, Saïf al-Islam Kadhafi réitère ses affirmations selon lesquelles il aurait personnellement joué un rôle dans le financement libyen de la campagne de Nicolas Sarkozy. Il affirme que l’ex-président français « a reçu 2,5 millions de dollars de la Libye pour financer sa campagne électorale » lors de la présidentielle de 2007. En échange, le candidat de la droite française devait selon lui « conclure des accords et réaliser des projets en faveur de la Libye ».
Une seconde somme de 2,5 millions de dollars aurait également été remise au clan Sarkozy par les autorités libyennes, selon Saïf al-Islam Kadhafi, pour mettre un terme à l’affaire de l’attentat du vol UTA 772 mené en 1989 et ayant tué 170 personnes, dont 54 Français. Saïf al-Islam Kadhafi précise qu’il a lui-même supervisé la transmission de l’argent en liquide à Claude Guéant, alors directeur de cabinet de Nicolas Sarkozy.
Cet argent « lui a été transmis par Béchir Saleh », par l’intermédiaire de l’homme d’affaires Alexandre Djouhri, selon Saïf al-Islam Kadhafi, qui affirme que la somme totale de « 5 millions de dollars en espèces » a été placée sur un compte bancaire à Genève.
Me Christophe Ingrain souligne que ces accusations « ne reposent sur rien », « ne visent qu’à nuire », et « à se venger ». Il affirme auprès de RFI qu’aucun document n’a été présenté pour étayer ces allégations, qui relèvent selon lui d’une « vengeance objective » liée à « l’intervention de l’Otan en Libye ».
Sarkozy se dit « sali de répondre à des questions pareilles »
De son côté, l’ex-président français maintient fermement sa position, rejetant catégoriquement les accusations de financement libyen de sa campagne, qu’il a qualifiées de « grotesques » lundi. Son procès, qui se déroule actuellement au tribunal de Paris, a été marqué par de vives réactions de sa part ce jour-là.
Alors que le tribunal l’interrogeait sur sa visite en Libye fin 2005, lorsqu’il était ministre de l’Intérieur, l’ex-chef de l’État s’est dit « sali de répondre à des questions pareilles ». Lors de cette entrevue à Tripoli sous la tente du richissime dictateur libyen, Nicolas Sarkozy a trouvé selon lui un Mouammar Kadhafi à l’apparence « extrêmement bizarre » et apparemment « drogué », qui s’est ensuite lancé dans une « logorrhée ».
Selon l’accusation, c’est lors de cette rencontre que Nicolas Sarkozy aurait scellé un « pacte de corruption » avec lui pour qu’il finance sa campagne. Mais l’ex-président réfute toute discussion à ce sujet, précisant qu’il était accompagné d’interprètes.
Jugé depuis le 6 janvier jusqu’au 10 avril pour corruption, recel de détournement de fonds publics, financement illégal de campagne et association de malfaiteurs, Nicolas Sarkozy encourt 10 ans de prison et 375 000 euros d’amende.