En dépit d’une décision de justice qui remet en course trois candidats crédibles à la présidentielle du 6 octobre, l’instance chargée des élections s’entête à ne valider que deux candidatures modestes face au président sortant. Kaïs Saïed ne devrait ainsi rencontrer aucune difficulté pour remporter le scrutin dès le premier tour.
Le président tunisien sortant, Kaïs Saïed, devrait remporter sans encombre, dès le premier tour, l’élection présidentielle prévue le 7 octobre prochain, désormais peu crédible.
L’Instance supérieure indépendante pour les élections (Isie) – l’organe chargé de la tenue des élections en Tunisie – a choisi de ne pas reconnaître les décisions de justice qui permettent la réintégration de trois candidats capables de battre à la régulière le président sortant, aux tendances de plus en plus autoritaires.
Lundi 2 septembre, l’Isie a en effet annoncé la liste définitive des candidats à l’élection présidentielle, rapporte le site d’information Business News. On y retrouve Kaïs Saïed, le président en exercice, le panarabiste Zouhair Maghzaoui et l’indépendant Ayachi Zammel. Ce dernier a d’ailleurs été interpellé par la police quelques heures avant l’annonce de l’Isie au motif de « falsification de parrainages » – les parrainages nécessaires pour se présenter à l’élection. Il est actuellement en garde à vue indique le journal en ligne TunisiesFocus .
Un organe tout puissant ?
Le président controversé de l’Isie, Farouk Bouasker considère que la Constitution tunisienne donne les pleins pouvoirs à l’instance qu’il dirige quant à l’organisation des élections, et argue du fait que le tribunal administratif, qui a décidé la réintégration des trois candidats, n’a pas fait part de ses jugements auprès de l’instance « dans les délais légaux de 48 heures stipulés par l’article 47 du Code électoral ».
Quelques jours auparavant, Imed Daïmi, Mondher Zenaidi et Abdellatif El Mekki, trois candidats de poids, dont les candidatures avaient été rejetées par l’Isie, « ont bénéficié d’un jugement en leur faveur prononcé par le tribunal administratif », rappelle Business News.
Dans un communiqué publié dans la foulée des dernières annonces de l’Isie, le Front de salut national, une coalition de l’opposition, a considéré que l’instance « a inauguré une phase dangereuse qui marque une rupture définitive avec la référence à la loi et les décisions de la justice, piétinant ainsi les fondements de la coexistence et les acquis de l’État de droit et des institutions », cite le site d’information panarabe Al-Araby Al-Jadid.
Ancien ministre du président déchu Ben Ali, le candidat exclu du scrutin Mondher Zenaidi a annoncé dans un communiqué ne pas reconnaître la décision de l’Isie, « non conforme à la législation en vigueur » selon lui, indique le site d’information Webdo. Il a également annoncé avoir déposé un recours contre la liste finale auprès du Tribunal administratif.
Un État de droit sur la corde raide
« Les experts unanimes, l’Isie a balayé les fondements de l’État de droit », titre Business News dans un autre article. Le journal indépendant cite notamment la présidente de l’Union des magistrats administratifs, Refka Mbarki, pour qui « la manipulation des articles de la Constitution et de la loi par l’instance pour atteindre un but bien connu et renverser les jugements définitifs des tribunaux est une tromperie manifeste envers l’opinion publique ».
Pour le journal en ligne Business News, cette fuite en avant de l’organe dirigé par Farouk Bouasker risque de biaiser l’ensemble du processus électoral. Largement élu en 2019, Kaïs Saïed s’est illustré depuis le coup d’État constitutionnel du 25 juillet 2021 – la dissolution par le président, après plusieurs mois de blocage politique, du Parlement – par son autoritarisme et sa mainmise sur l’ensemble des institutions de l’État, et notamment sur la justice. Nombre de ses opposants sont actuellement emprisonnés pour de nébuleuses affaires de complots contre la sûreté de l’État.
Source : Courrier international, 4 septembre 2024